aux confins du connu et de l’inconnu


SPECTACLE du 23 septembre 2016 (cloître d’Arles-sur-Tech, P.O.)

Texte de Joëlle Réthoré

I – Abordage aux confins du connu et de l’inconnu, dans cet espace-frontière perméable à ces deux états de conscience. Acceptation du lâcher-prise,de l’incertitude, du danger de la rencontre avec le « nous », dans la lumière blanche du spectre de Newton, lorsque s’abolit le « je » associé au pluriel des couleurs, rouge, orange, jaune, vert, bleu et violet. Choc sismique pulvérisant l’ego, dans un tourbillon si violent qu’il dévoile fugitivement quelques fractales intimes avant qu’elles ne disparaissent de notre champ perceptif.

Perte du point de vue, abandon de chaque sens au profit de leur mélange, synesthésie choisie, ressentie comme un don, qui permet d’entendre les surfaces et les formes, et de sentir les couleurs.

Incertitude qui est vie prise à pleines mains, à « plein coeur », à la découverte du monde, du « parler en langue », du « moi-avec » après éclatement plus ou moins maîtrisé de sa gangue infernale.

L’histoire universelle peut bien agiter la pénombre d’un cloître ou d’un atelier…

II – Nos voix se croisent et transigent sur le sens mais sans tout à fait fusionner, pour le pur plaisir de différer le moment de l’unisson. Chacun entend les déplacements de sens, les altérations subtiles de la structure de notre énonciation collective, qui est devenue plurivoque, avec le temps. Sans en avoir conscience, comme une évidence, nous avons appris à respecter les rôles et les fonctions de l’énonciation dialogique. Les rôles sont celui de chaque acteur/créateur, qui dit, chante, danse, peint, met en musique un « je » dans un mouvement alterné avec le « tu », qui est le rôle de celui qui est momentanément son partenaire (acteurs et public). C’est une alternance délibérée, qui favorise l’instauration d’une isotopie de sens, c’est-à-dire d’une figure sémantique complexe, capable de faire motif, et sur lequel chacun peut apposer un nom, un concept, prenant alors pleinement part à la construction du sens général de l’oeuvre toujours in progress. Avec un « plus » fondamentalement joyeux, qui est un attribut de la plurivocité : le travail d’unification du groupe. Ce n’est pas tant un mélange qu’une mise en coïncidence des points de vue, dont l’aboutissement idéal est un accord sur les objets, et l’accès de chacun à un sens provisoirement, ou définitivement, partagé, car commun. Ce qu’on pourrait appeler une « entente ».

III -En advenant dans la parole, les sujets de l’entente acceptent leur inscription mutuelle dans un espace vivant, habité par des signes qui manifestent leur devenir ensemble.

Cette entente n’est pas simple compréhension du sens des échanges. Elle est compréhension mutuelle de l’être-avec autrui ; elle est l’essence même du Dasein de Heidegger, qui veut dire être-avec justement ! L’entente est de la pensée commune, qui peut être de l’esprit aussi, et toucher les protagonistes dans l’intimité de leur langage et jusque dans leur corps.

La plurivocité est entente d’un humain avec un autre, un autre qui le sait. Le bonheur est au détour du chemin.