Oh moi, vous savez, je dis ça comme ça… (1)


Joëlle PICARD-CORDESSE

1. Tout m’est relatif

Au stage de la Rochelle, il a 3 ans, nous-avions proposé un travail en grammaire sur deux corpus différents, l’un en français, l’autre en anglais. L’un et l’autre corpus avaient servi auparavant pour des enquêtes auprès d’élèves de lycée sur leur approche de la grammaire. Le dispositif mis en place pour l’après-midi était le suivant : la moitié des participants travaillait sur le français, la moitié sur l’anglais, et on se retrouvait a la fin. pour une confrontation générale. La tâche consistait à faire l‘exercice dans un premier temps comme les élèves — c’est-à-dire à remplir les trous et justifier à chaque fois sa réponse… Un travail en petits groupes permettait ensuite de comparer les réponses, décider d’une attitude commune et formuler une règle d’emploi des formes en cause. Le groupe était ensuite confronté d’une part aux “bonnes réponses” ; d’autre part aux résultats de l‘enquête, c’est-à-dire aux réponses fournies par les élèves.

Test initial. 1ʳᵉ partie :

On demande aux élèves de compléter 7 énoncés lacunaires par ll, ’m going to, ou toute autre forme verbale ; ou les deux si les deux paraissent convenir ; et de justifier leur choix.

1. Maybe I … … … be selected for the football match.
2. Peter : — I can’t possibly write this letter by myself. Mary : — Never mind, I … … … help you !
3. I … … … work this term. No parties ! I’ve got to pass my exam.
4. — I’ve got something urgent to do. I’m afraid you-can’t stay here.Okay. I … … … go ! “
5. The examiner said “Sit down, please ! I … … … ask you a few questions.
6. Jane : — Phone’s ringing ! Wilson : — I … … … answer it !
7. You want to know why I … … … take that exam ? Because I’m sure I … … … pass it !

Test initial. 2ème partie

On demande aux élèves de traduire partiellement 4 énoncés et d’indiquer les raisons de leurs choix.
Traduisez ce qui est souligné .

1. Je ne te le dirai pas, ce n’est pas la peine d’insister.
2. — Tu veux mon numéro de téléphone ?– Oui, oui,.vas-y, je note . (noter : write down)
3. — As-tu encore besoin du dictionnaire ?Non merci.Bon, eh bien, j’le range !;
4. Je resterai ici , que cela te plaise du non !

FRANÇAIS

l°/ Mettez les verbes au passé simple ou à l’imparfait (à l’exclusion de toute autre forme verbale) :
2°/ -Donnez en quelques mots, pour chaque verbe, les raisons de votre choix. (Utilisez éventuellement les numéros pour repérer les verbes.)

A/ Il (arriver) … … … (1) à peine lorsque l’orage (éclater) … … … (2).
B/ M. Folkstone (travailler) … … … depuis douze ans dans cette entreprise.
C/ Rejeté par tout-le monde, il (devenir) … … … taciturne.
D/ Il (rouler) … … … (1) toute la journée. Comme il (entrer) … … … (2) dans Paris, une grande lassitude le (prendre) … … … (3).
E/ S’il (venir) … … … demain, je serais très content.
F/ Quelque temps après; le pape (venir)… … … (1) en France. il (passer) … … … (2) quelques jours à Clermont en Auvergne. Une grande foule (accourir) … … … (3) pour le voir.
G/ Mathusalem (vivre) … … … neuf cent soixante-neuf ans.
H/ La neige (tomber) … … … (1) depuis le matin ; les enfants (se réunir) … … …. (2) dans le salon et (commencer) … … … (3) un jeu si animé que bientôt on (entendre) … … … (4) leurs cris a l’autre bout de l’appartement.

L’intérêt de ces deux enquêtes résidait essentiellement dans la totale indépendance constatée entre la maîtrise que les élèves pouvaient avoir des faits de langue étudiés. et leur connaissance, ou leur maîtrise des règles auxquelles ils se référaient pour justifier leurs choix. Tantôt les choix étaient justes et les règles fausses, ou le contraire. Surtout, il apparaissait que certains, à ce niveau, possédaient une intuition très sûre de la langue, et pourtant un système de règles parfaitement inadaptées aux situations qu’elles étaient censées expliquer Le problème, dans ce cas, n’apparaissait qu’à l’oral quand, placés devant la nécessité de résoudre cette contradiction flagrante, ils préféraient mettre en cause l’intuition qu’ils s’étaient construite — leur vraie maîtrise de la langue — plutôt que la règle qu’ on leur avait enseignée.

Dans le groupe d’adultes qui était présent, le dispositif de recherche et la confrontation aux résultats de l’enquête auprès des lycéens avaient permis de dépasser ce problème qui, bien sûr, dans un premier temps s’était posé de la même façon pour les spécialistes” (enseignants de la discipline), comme pour les “non-spécialistes”. Ce sont donc les règles, comme le souhaitaient les auteurs des enquêtes, qui ont été en fin de compte revues, corrigées et déconstruites. De nouvelles règles ont été formulées pour répondre aux exigences du corpus proposé.

J’avais personnellement déjà travaillé sur ce corpus et ces enquêtes a d’autres occasions, dans des groupes différents et restreints, pour préparer ce stage. Le souvenir que j’ai gardé de cette après-midi de grammaire à la Rochelle est cette formulation-choc, issue de la discussion générale finale : Il y a beaucoup de règles, beaucoup de formulations possibles pour un même corpus et un même problème. Selon le groupe et selon le moment, tu t’arrêtes à une formulation ou à une autre ; la règle qui te satisfait, c’est celle qui te convient dans le cadre de ton projet du moment.

Cette formule dont J’ai depuis vérifié qu’elle pouvait paraître extrêmement choquante est pour moi la définition même d’une science en marche, jamais aboutie : la fin du progrès n ’est pas pour demain ! mais toujours contrainte de se figer provisoirement pour être utile et donner naissance à des actes. Il n’y a pas de bonnes et de mauvaises règles. Toute règle est insuffisante au regard de la règle idéale, celle qui n’existe pas. Toute règle est géniale quand elle est invention, solution nouvelle, ouverture et conquête. Toute règle est mauvaise quand elle se substitue à la réalité qu’elle prétend décrire et éclairer. La science ne se distribue pas, elle se fabrique.

Test 1 rempli par un élève tout à fait représentatif de la population :

1. ‘ll. On ne sait pas quand va avoir lieu le match ni la sélection des joueurs. Il se peut que ce soit dans un futur proche mais, n’en étant pas sûr, le futur est préférable.
2. ’m going to. Futur proche. Il est certainement en train d’écrire la lettre et dans quelques instants elle va l’aider.
3. ’ll. Tout au long du trimestre. Futur proche, mais à la fois éloigné. Will.
4. ‘m going to. Futur proche. D’ici peu il va s’en aller puisque l’autre doit faire quelque chose d’urgent.
5. ’m going to. Futur proche. Il va le faire pendant son cours, juste après avoir fini de dire cela.
6. ’m going to. Futur proche. Il décroche juste après, et non quand le téléphohe aura fini de sonner.
7. ‘ll. Il prendra cet examen parce qu ‘il est certain de le réussir mais la précision dans le temps n ‘est pas donnée. Will.

Quelques commentaires d’élèves sur des énoncés pour lesquels ils ont déclaré possibles les deux réponses :

2. él A . aucune précision dans la situation temporelle de l’action.
2. él B : 1ere possibilité dans l’ immédiat, 2ème plus tard.
2. él. C : cela dépend quand elle l’aidera. Si tout de suite, BE GOING TO, si dans quelques jours, WILL.
3. ‘Je pense que les deux peuvent aller, car on peut penser qu’il travaillera tout de suite ou plus tard.
3. él. A’ : Action mon déterminée dans le futur.
3. él. B’ : suivant le contexte, l’examen peut être à la minute même ou dans un délai plus long.

Réponses fournies a la deuxième partie du test par un élève représentatif :

1. I won’t tell you it. parce que c ’est un futur simple.
2. I write down. parce que c’est un présent simple.
3. I put away. présent simple.
4 I’ll stay here. futur simple.

Interprétation des résultats obtenus (Françoise Decaux, Bulletin AFLA n°10-13-p 61)

Ils reflètent assez bien ce que l’on peut lire dans certains lexiques grammaticaux que l’on trouve à la fin des livres d’anglais du Secondaire; ils reflètent encore le fait que les élèves n’ont pas eu au cours de leur scolarité l’ occasion de mener une réflexion sur le fonctionnement du langage et des langues. L’enseignement à développer devrait donc amener les élèves à abandonner l’idée que la manière de signifier coïncide d’une langue à l’autre; montrer que le détour par un système de description des valeurs, se situant au niveau de ce que l’ on veut signifier, permet le passage d’une langue à l autre; enfin, montrer comment ce système de valeurs se réalise au niveau de chacune des langues étudiées.