Intervention Controverse Brahim Azaoui


« Quand les peuples pourront enfin se comprendre, ils cesseront de se détester. »

(L. Zamenhof – fondateur de l’espéranto)

Brahim Azaoui

Peut-on véritablement répondre par la négative à cette question, que je transformerais volontiers en une affirmation : nous avons besoin des langues des autres ? Ce serait en effet remettre en cause toute l’entreprise européenne, toutes les mesures en faveur de l’enseignement des langues à l’école primaire… Il s’agira dans cette brève contribution de réfléchir aux finalités inhérentes à cette entreprise plurilingue:

  1. En terme de compétence communicative :

Il n’est pas question ici de défendre le développement de l’espéranto, mais bien de s’interroger du besoin que nous avons des langues des autres.

Toutefois cette citation nous donne un premier élément de réponse à cette question aux abords simples. Nous sommes au fondement même de l’emploi des langues : la communication entre individus, car la langue est sociale dans son essence. L’Etre social parle donc pour exister en groupe. L’ « Etre global » se doit, lui, de connaître les langues des autres pour exister dans ce fameux « village global » (MacLuhan).

Les migrations européennes ou mondiales nous rappellent constamment que l’Autre, l’ailleurs ne sont aujourd’hui plus aussi éloignés qu’auparavant. Nos écoles sont déjà riches de dizaines de milliers de primo-arrivants, porteurs d’identités diverses tant sur le plan linguistique que culturel. Aussi sommes-nous confrontés aux langues des autres et à des modes de communication nouveaux dans notre quotidien, en tant que professionnels de l’éducation, que parents d’élèves, qu’élèves… Que citoyen.

  1. En terme de construction identitaire

Par ailleurs, nous avons besoin des langues des autres pour savoir qui nous sommes. L’Autre me renvoie à ce que je ne suis pas, mais paradoxalement à ce que je suis à la fois : être de parole, de langage et de culture. Par la comparaison qui met en exergue points communs et différences, mon identité se crée.

Ainsi, apprendre les langues des autres c’est mettre le doigt sur ce qu’est ma langue par opposition et analogie, retrouver ce qui nous lie et ce qui nous sépare, pour mieux vivre ensemble en connaissance de cause. Apprendre les langues des autres, c’est à terme faire face à l’Altérité dans ce qu’elle a de plus intime : sa langue maternelle, son identité, son patrimoine. C’est demander à l’Autre de m’ accepter pour ce que je suis : porteur moi aussi de cultures et de langues.

  1. En terme de compétence plurilingue

Apprendre des langues des autres, ce n’est pas perdre la sienne. Bien au contraire, c’est s’enrichir de structures, que l’on croit nouvelles alors que souvent une racine commune nous rapproche déjà à notre insu. Ces langues que l’on croit étrangères participent de notre patrimoine collectif mais aussi personnel, de nos compétences plurilingues à venir mais déjà en construction. Qu’on le veuille ou non, les langues étrangères sont donc un investissement pour l’avenir.

L’apprentissage des langues des autres renforce la démarche méta-cognitive développée par la plupart des enseignements. Apprendre une autre langue c’est mettre en parallèle des systèmes d’écriture, de syntaxe et de rapports à la réalité. Je réfléchis sur ma langue par le truchement de cette nouvelle langue. C’est en ce sens que je construis ma compétence plurilingue dans le sens que lui donne le Cadre commun de référence : « compétence communicative à laquelle contribuent toute connaissance et toute expérience des langues et dans laquelle les langues sont en corrélation et interagissent » (CECR, 2000 :11). Ainsi, chaque connaissance en cours ou future devient une « compétence levier » au service des nouveaux apprentissages.

  1. En terme d’ équité linguistique

Le plurilinguisme comme nous l’entendons ne donne pas de priorité à telle ou telle langue. Il nous faut sortir de notre schéma scolaire actuel : LV1 – LV2… qui confère indirectement une préséance à certaines langues en fonction de leur rang. Il est temps aujourd’hui d’aborder cette notion de « linguistique équitable » pour mettre chaque langue, donc ses locuteurs également, sur le même plan. Il serait toutefois utopique, à ce jour, de ne pas accepter l’idée que certaines langues soient plus empruntées que d’autres. Cela ne change en rien le fondement de cette position qui défend une reconnaissance égale à toutes les langues, pour éviter de pérenniser le « marché aux langues » (L. J. Calvet) qui donne une valeur marchande aux langues, alors qu’elles sont d’abord l’expression d’une identité.

Une des façons d’agir en ce sens est de poursuivre le développement des démarches et autres approches basées sur le plurilinguisme qui existent depuis des dizaines d’années. C’est aussi en redonnant une certaine dignité aux langues minorées et oubliées, que l’on pourra asseoir une équité linguistique propre à permettre la survie ou le redéploiement des langues en perdition.