1-atelier sur”l’intelligence des langues” le30-03-2012
2-Conférence”personnage public de l’intellectuel et son
rôle dans l’éducation” le 31-03-2012
Bonjour Mohamed
Nous nous préparons avec enthousiasme au grand voyage marocain.
Le programme n’est pas modifié. Je suis un peu gênée par le titre de la conférence : c’est le titre d’un thème du Forum International Paulo Freire pour lequel j’ai fait une proposition d’intervention. mon titre à moi était plutôt “Intellectuel public / intellectuel collectif et démocratie intellectuelle”, et il s’inscrivait dans un contexte de table ronde sur un sujet qui doit préoccuper l’Institut Paulo Freire et qui nous préoccupe aussi, bien sûr, mais est-ce le sujet que nous devons traiter ici ? N’est-il pas trop général (ou trop vague) ? Je garde, bien sûr, l’idée de faire apporter par les participants une parole construite collectivement à partir d’une courte écriture individuelle. Il est clair aussi que, quel que soit le sujet de la conférence, la question de l’intelligence collective, celle de l’espace public et des espaces éducatifs comme lieux de lutte entre émancipation et confiscation, seront posées par la pratique elle-même. Mais quel est le titre et quel est le ciblage qui nous aideront le mieux à mettre en route les Labos de Babel ?
Auras-tu un ordinateur et un vidéoprojecteur, pour la conférence ?
J’ai déjà fait une conférence, intitulée “Sortir du monolinguisme”, avec des micro-situations pour faire réagir. On peut moduler : sortir du monolinguisme idéologique, ou de l’idéologie du monolinguisme, en éducation ou dans l’espace public, sortir du monolinguisme idéologique…
Je l’ai vérifié l’autre jour en Tunisie, il me semble que dans les pays arabes, se pose comme chez nous, à travers la francophonie, le problème du jacobinisme culturel, avec la tentation de le remplacer par un monolinguisme arabe, et peut-être, chez les intellectuels éclairés, la juxtaposition de deux ou plusieurs monolinguismes, comme on trouve chez nous aussi. Ce que nous proposons de travailler, comme matériau d’intelligence collective, c’est la polyphonie du langage, où toute langue et toute personne a sa place et contribue avec sa singularité à produire des échos, des couleurs, des nuances au sein même des grandes langues nationales et de communication, les unes faisant vivre les autres et réciproquement. C’est donc la question des paroles et des voix singulières, à travers les situations d’apprentissage interlinguistique, qui se discute.
J’ai un diaporama sur mon expérience au Kenya, que je pensais peut-être utiliser pour poser la question du lien entre plurilinguisme, culture de l’altérité et production d’intelligence…Une autre “nous sommes tous des polyglottes contrariés”. C’était bien aussi, sur la compétence sous-jacente à nos apparentes incapacités…
Qu’en dis-tu ?
Réponse
Je suis tout à fait d’accord avec votre excellente réflexion mise à l’épreuve en Tunisie. Le “petit problème” réside dans le titre, chose facile à rectifier ,
le titre est une simple procédure administrative et publicitaire (déjà affiché sur les banderoles dans l’espace public urbain de Meknès)
le matériel est disponible pour travailler (ordinateur- data show) surtout pour l’atelier.
Quant à la conférence il vaut mieux se contenter du général/discours pour un large publicMerci infiniment pour l’intérêt et les efforts accomplis pour le Maroc
Mohamed
Dispositif de conférence :
- Accueil en français par le Président de l’ERESH, puis en arabe par l’organisateur qui présente le projet et pose le principe que chacun parlera sa langue ou la langue de son choix.
- Introduction / problématisation
Le titre de la conférence qui nous a été demandée nous vient de l’Institut Paulo Freire, qui organise sur ce thème ses prochaines rencontres internationales, en septembre à Los Angeles. Il semble indiquer que l’Institut PF s’interroge sur son rôle et sur cette question, que c’est une question qui se pose à l’échelle de la planète. Je vois dans ce titre la question du statut de l’intellectuel dans la société, et des effets que ce statut peut induire sur nos conceptions et nos pratiques éducatives.
Soyons concrets.
Je suis dans cette situation, d’assumer et de représenter ici et maintenant le personnage de l’intellectuel public.
Je suis une personne, invitée à intervenir ici parce que j’ai une expérience et une recherche dont certains ont pensé qu’elles peuvent rendre service ici. J’ai aussi un doctorat de sémiotique, ce qui fait de moi un(e) intellectuel(le) reconnu(e) comme tel(le) par l’institution universitaire. Est-ce que, pour autant, je dois accepter le personnage et le rôle éducatif que nos habitudes tendent à nous imposer ?
La conférence, un espace à transformer.
Espace public, espace scolaire. Nous sommes sur une estrade, nous en haut, vous en bas. Une figure de la coupure entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, entre ceux qui pensent et ceux qui ne pensent pas, entre ceux qui parlent d’abord aux autres, mais ensuite, finissent par parler pour les autres et à la place des autres.
L’espace de la conférence sert de modèle à l’espace scolaire et à nos conceptions du savoir. Une estrade pour celui qui sait, des élèves qui ne savent pas. Et quand on enlève l’estrade, c’est pareil. Toujours les élèves rangés les uns derrière les autres et le maître en face.
J’arrive au Maroc, je ne vous connais pas, je ne connais pas votre réalité, je ne suis pas venue pour me donner en spectacle, j’ai envie que ce que j’ai à apporter s’inscrive dans votre contexte, dans votre texte, et qui peut créer ce contexte et ce texte mieux que vous ? Notre présence ici nous impose de penser un nouvel espace public, planétaire, un espace à construire dans le nouveau contexte de la mondialisation.
Nous descendons de l’estrade et je vous propose de nous mettre ensemble au travail.
Mise en situation :
Nous avons apporté des photos d’expériences précédentes. Il va s’agir d’imaginer ce que font et ce que pensent les gens qui sont sur les photos.
On vous distribue du papier, des stylos si vous n’en avez pas.
Première consigne : On vous demande dans un premier temps de réagir simplement aux photos en écrivant au moins un mot par photo sur votre feuille.
Photos projetées sans commentaire et dans un grand silence : Saint-Petersbourg, atelier « Droits de l’Homme ». télécharger diapos 2009-St-PetersburgDroits-de-lHomme.pdf (558 téléchargements )
et Nairobi, stage « Native languages » (10 mn) télécharger diapos 2008-Nairobi-Workshop.pdf (492 téléchargements )
Deuxième consigne : faire circuler les feuilles, pour vous permettre de collecter d’autres mots qui pourraient vous intéresser, partager vos impressions. On donne une deuxième feuille à chacun.
Troisième consigne : écriture individuelle : imaginer ce qui se passe dans la tête de ces gens. Par exemple, on peut se mettre dans la tête de quelqu’un et le faire parler (10-15 mn).
Quatrième consigne : former des groupes de proximité de 5 à 6 personnes. Se lire les textes puis élaborer ensemble une prise de parole d’un maximum de 3 minutes qui sera la contribution de votre groupe au débat général (25 mn).
Prises de paroles des groupes et débat. Chacun parlera dans sa langue, ou dans la langue de son choix. 1h
Intervention finale mettant en relation les différentes questions soulevées et les différents arguments produits.
début : 16h30, fin 19h45 (durée 3h15), on aurait pu se limiter à 3h, mais tout le monde voulait participer au débat, et plus on avançait plus c’était argumenté ! Difficile d’arrêter. J’ai réussi en disant que la discussion ne pouvait pas se clore en une fois, que le débat allait continuer entre eux et que notre voeu le plus cher était que des projets collectifs en naissent et que nous restions en relation.
Interview d’un professeur participant 1
Je veux vous remercier pour l’expérience que vous nous avez fait vivre. C’est révolutionnaire.
Une libération collective. Tout le monde a parlé. Une surprise : ils s’attendaient à du bla-bla, eux-mêmes des statuettes pour le décor… Les gens se sont exprimés sans complexes, ils se sont retrouvés dans un espace de liberté, d’échange, où les gens écoutent ce que les autres disent.
Le débat a continué après. Ils étaient bouleversés. Les profs vont faire la même chose avec leurs étudiants. Avec cette méthode, on partage la fatigue ; il n’y a plus d’un côté celui qui travaille, de l’autre ceux qui s’ennuient. Personne ici n’a senti la fatigue. Je parle de l’autre fatigue, psychologique, de la statuette qui porte le décor et supporte le matraquage de l’autre.
Surtout, ce sentiment de libération. Cette méthode … l’accueil de l’autre. Je n’ai jamais vu ça ! Un enseignant universitaire avec un étudiant, avec des gens ordinaires, qui se partagent des idées, qui construisent ensemble, c’est EX-TRA-OR-DI-NAIRE. Je me demande comment ils ont pu accepter ça, dans un régime autoritaire. C’est la méthode.
Et la réaction des autorités ! Ils s’attendaient à voir ces professeurs françaises bourrer le crâne des gens. Ils n’ont rien compris. Les rôles se sont inversés.
Le grand problème, chez nous, c’est le manque de confiance des uns dans les autres. Le problème s’est dissipé de façon brusque et inattendue. On a surmonté ses craintes. Pourquoi ? C’est la méthode : l’humilité, la modestie, la spontanéité de la parole. Vous avez tout de suite mis les gens en confiance.
On a discuté longtemps le soir. On a parlé de pédagogies actives, de Paulo Freire. On sent que c’est la vie même, quelque chose qu’on peut faire facilement. Dans ce pays, nous avons besoin d’une pédagogie pour les enfants du peuple. A l’heure actuelle, c’est dramatique, la marginalisation, la reproduction, au sens de Bourdieu, à grande échelle. Les enfants du peuple sont massivement mis à l’écart de la culture, de la science, de l’art. Il y a la référence constante au religieux, qui empêche les gens de réfléchir. On les forme pour en faire tous de petits talibans, je n’exagère pas.
Je vais vous révéler un petit secret. C’est par des méthodes comme celle-là qu’on peut soustraire les gens à l’influence des religieux qui les endoctrinent, leur donner la confiance en soi qui leur permet de se soustraire à l’endoctrinement. Là, on leur dit : vous êtes capables. Comme dit Nietzsche, « la révolution arrive sur des pattes de colombe, sans faire de bruit ». C’est une question de stratégie.
Il y avait beaucoup d’activistes de la culture amazigh à la conférence. C’est un problème, le mouvement amazigh. Il y a un risque d’enfermement. Déjà, il n’y a pas 1 langue amazigh, mais plusieurs, au moins des styles, des accents différents. Le positif, il faut le leur reconnaître, c’est que le mouvement amazigh a contribué à libérer le Berbère du complexe qu’il avait à être berbère. C’est la même chose que raconte « Peaux noires, masques blancs », Frantz Fanon. Petits, on s’efforçait de parler arabe sans accent berbère. On le reniait parce qu’il y avait cette violence, il nous donnait l’air de paysans arriérés. Maintenant, quand je parle, on me dit « c’est dommage, ça ne se voit pas que tu es berbère ». En réalité, ce mouvement est le seul mouvement laïque. La population berbère n’a jamais été pénétrée par l’Islam, même si elle a été contrainte d’en adopter les attitudes. Il faut le pousser dans cette direction. Il faut faire progresser le monde entier.
Le risque, c’est de figer les mentalités, pour les touristes (les costumes traditionnels, les chants traditionnels, etc.). En fait, ce pourrait être le contraire. Vous nous avez ouvert les yeux sur des choses EX-TRA-OR-DI-NAIRES.
Le système d’enseignement ne permet pas le développement des personnes. Les mouvements actuels sont-ils porteurs de nouvelles valeurs?
1sociologue, expert de l’analyse des effets de l’éducation scolaire sur le système éthique et moral des personnes.