Dans ce livre, Joëlle Cordesse nous propose un paradigme : la langue à construire, avec d’autres, dans des situations d’invention-réinvention ; la langue à réélaborer par des sujets qui en saisissent (à tous les sens du terme) la portée symbolique. Elle nous offre le vrai moyen d’apprendre à parler des langues vivantes.
“Toute langue est nôtre. Merci !“
Cette émouvante déclaration spontanée d’un jeune élève de collège en conclusion d’une Rencontre de classes multilingues dit le renversement qu’il nous faut opérer dans nos têtes pour qu’enfin les langues des autres cessent de nous apparaître comme des territoires réservés, inaccessibles sans une longue et difficile initiation que seuls réussissent quelques-uns qui semblent avoir un don, un sens des langues, une bonne oreille.
Le don des langues, ça s’apprend, par une pratique audacieuse de la polyglossie, dans une logique pédagogique qui prend le parti systématique de l’inclusion.
La sémiotique peircienne apporte les outils de formalisation d’une démarche de recherche et de formation, une théorie pratique de l’étrangeté. Ce sont les conditions et les processus de l’évolution des langues, du langage et de la pensée, à l’échelle d’une personne, d’un groupe- classe ou d’un peuple, qu’elle permet ici de mettre en lumière.
L’expérience que décrit ce livre montre qu’il est possible d’enseigner les langues dans une perspective qui construise et entretienne la curiosité épistémologique plutôt que la timidité.
C’est une belle réussite de la part de Joëlle Cordesse que d’avoir ainsi rendu vivante et féconde la référence à Peirce, philosophe trop mal connu des linguistes. Dans une langue riche, avec un enthousiasme communicatif, elle fait partager à ses lecteurs la conviction que la classe de langue peut échapper à “ une pédagogie de la connivence culturelle ” et devenir l’occasion, pour des élèves passifs ou timorés, de “se vivre intelligents et créateurs” .
Extrait de la préface de Claudine Normand
À propos de l’auteure : Joëlle Cordesse est membre et responsable du Groupe français d’éducation nouvelle, fondatrice du Secteur national langue(s) et membre actif du LIEN depuis sa fondation en 2000.
Agrégée d’anglais et docteur en sémiotique et communication, spécialiste de sémiotique peircienne, membre de l’Association française et internationale de Sémiotique, de l’Association de linguistes et anglicistes de l’enseignement supérieur, elle a été professeur d’anglais dans le secondaire et elle a été chargée de cours à l’Université de Perpignan (logique métho- dologique et logique de remédiation).
Ce livre se base sur une thèse de doctorat défendue à l’Université de Perpignan en 2006. Vous pouvez lire et écouter cette thèse dans la babelothèque.
Postface de Philippe Meirieu : Philippe Meirieu, né le 29 novembre 1949 à Alès, est un chercheur et écrivain français, spécialiste des sciences de l’éducation et de la pédagogie. Il a été l’inspirateur de réformes pédagogiques en France (instauration des modules au lycée ainsi que des IUFM au début des années 1990). Il est actuellement vice-président de la région Rhône-Alpes, chargé de la formation tout au long de la vie.
Lire la postface du livre
Apprendre et enseigner l’intelligence des langues
A l’école de Babel, tous polyglottes
Par Joëlle Cordesse
Parution le 5 février 2009
Editeur : Chronique Sociale
ISBN : 978-2-85008-751-6/EAN : 9782850087516
Articles critiques
Questions de classes
Jean-Pierre Fournier
Accepter de voir en face cette difficulté : l’apprentissage des langues ne passe pas, tout particulièrement en France, quels que soient les efforts des profs de langue. Plutôt que de se perdre dans les sables de l’analyse d’une spécificité culturelle française d’ailleurs en évolution, Joëlle Cordesse cible d’abord l’obstacle identitaire qui bloque l’apprentissage : car « parler une autre langue, c’est jouer à être l’autre » et « comment se parler autre sans se renier soi ? ». Prendre conscience que « le savoir linguistique en acte est un savoir du risque » est donc le premier pas à franchir pour l’enseignant (on pourrait en dire autant d’autres savoirs, et on sait que les faibles scores aux épreuves de PISA en sciences ou en maths viennent de cette peur du risque).
Pour avancer dans ce domaine, …
Lire la suite :
questionsdeclasses.org/luttes-et-ratures
Lettre mensuelle électronique du CIEP (Centre International d’Etudes Pédagogiques)
Pour l’auteure, apprendre une langue étrangère est une aventure de la personnalité. Partant de ce postulat, elle s’appuie sur ses expériences d’enseignante, ses recherches et les projets qu’elle a menés pour mettre en évidence la singularité de l’apprentissage/enseignement des langues en invitant à passer d’une logique des contenus à une logique des relations. Le livre, très original dans sa conception, propose à la fois des outils conceptuels, théoriques et pratiques pour favoriser une autre approche de l’enseignement des langues étrangères. Elle explique, en référence au philosophe Peirce, le renversement qu’il faut opérer pour qu’enfin les langues des autres cessent d’apparaître comme des territoires réservés, inaccessibles sans une longue et difficile initiation. Elle fournit des synthèses en fin de chapitre et propose des démarches pédagogiques directement applicables.
L’Educateur, revue du Syndicat des Enseignants Romands
n°3, 6 mars 2009 p. 8 : J’éduque, donc je lis ! par Etiennette Vellas
“Toute langue est nôtre. merci.” En refermant le livre, je n’ai eu qu’une envie, reprendre cette émouvante déclaration d’un élève, faite en conclusion d’une rencontre de classes multilingue. Ces mots disent le renversement que ce livre parvient à opérer dans nos têtes : réaliser que les langues des autres ne sont pas des territoires réservés, inaccessibles sans une longue et difficile initiation, que seuls réussissent les “doués”, ceux qui ont un “sens des langues”, une bonne “oreille”. “Le don des langues, ça s’apprend !” nous dit Joëlle Cordesse. mieux, elle le prouve, du début à la fin de son livre, en faisant référence à Peirce. dans une langue riche et avec un enthousiasme communicatif, elle nous montre comment les élèves les plus passifs ou timorés deviennent curieux face aux langues. Quand ils peuvent, en pleine démarche d’apprentissage, se vivre solidairement intelligents et créateurs.
Esprit&Corps, revue de psychosomatique relationnelle, Editions Sipayat
Volume 2, automne 2010, Conflits sociolinguistiques, mémoire et pathologies, p.153 : Notes de lecture, par Dr Anne Fourreau
Il peut paraître paradoxal de présenter un ouvrage qui défend la possibilité pour chacun d’être joyeusement polyglotte dans une revue consacrée à la langue maternelle et aux souffrances engendrées par son éviction ou son oubli. Or, comme le démontre Joëlle Cordesse, pour bénéficier du droit d’accès aux langues étrangères, il faut avoir vécu l’étrangeté de sa propre langue entendue comme une langue et non comme l’unique vecteur de la réalité. En l’occurrence pour le français, faire le chemin inverse de ce qui a été inculqué, se détacher du monolinguisme professé par l’école publique de la République pour prendre conscience de richesses méconnues : savoir bafoué des langues régionales, des patois, des parlers mais aussi des langues des immigrés et savoir inconscient des langues du monde. C’est bien ce monolinguisme utile à l’unification de la République qui a généré et génère toujours d’une part les souffrances individuelles liées à la diglossie et d’autre part la croyance de tout un peuple d’être « nul en langues».
Considérer l’égalité de toutes les langues sans hiérarchie d’aucune sorte, c’est revenir à nos capacités originelles et s’autoriser à ne plus être des « polyglottes contrariés ». C’est aussi, ne pas rester dans l’état de souffrance diglossique mais se réapproprier fièrement non seulement sa langue maternelle (régionale ou d’immigration) mais aussi les parlers de la terre, de l’usine, des quartiers populaires, pour s’ouvrir aux autres langues à partir de ce savoir là, non académique. Au-delà de la simple reconnaissance de la diversité et de la richesse pour l’humanité que constituent les quelque 6500 langues connues du monde, la pluralité linguistique et culturelle se conçoit comme une revendication émancipatrice. C’est une issue à la tentation de mettre la langue maternelle dans la position indépassable d’être seule porteuse d’affects originels, irrécupérables par ailleurs.
La « méthode » utilisée pour aller à la découverte d’un savoir inconscient des langues et pour ouvrir à un apprentissage dynamique et auto-corrigé le démontre. La langue maternelle peut se confondre pour certains avec la totalité du langage. Nous sommes immergés dans des signes qui sont notre matière même depuis l’enfance et donc naturellement transparents. La première étape est de considérer la langue maternelle comme « une langue » et non comme la représentation naturelle des choses. Pour aller vers une autre langue, il s’agit de faire place à « l’autre » dans un espace créé entre nos représentations du monde et le système linguistique qui les désigne. Faire place à « l’autre », c’est aussi se dégager de toute représentation hiérarchique ou de pouvoir qui peut s’attacher à « l’autre peuple » et à sa langue. C’est sortir d’un rapport de forces binaire entre la langue qui nous a pétris depuis toujours et celle qui vient faire effraction. Faire une place ne veut pas dire mettre à la place. C’est là que l’abord multi-linguistique montre sa pertinence. La hiérarchie des langues mondiales s’estompe au profit de la compréhension des liens, des similitudes, des glissements historiques. Chaque langue est une solution singulière aux mêmes problèmes fondamentaux du mystère du langage. Aucune langue ne peut revendiquer de le représenter entièrement.
Joëlle Cordesse présente le travail d’atelier avec un enthousiasme communicatif né d’une longue pratique de transmission de la réussite. Jouer l’accent et les inflexions d’une langue sans en utiliser les mots ; rencontrer le même texte dans plus de 30 langues et traduire une langue inconnue et fermée (inuktitut, lituanien, wolof…) grâce à une langue romane tout aussi ignorée mais plus proche ; lire, parler, écrire « pour de bons » une langue romane en trois heures ; écrire l’arabe grâce à son corps ; etc., tout cela devient joyeusement possible quelle que soit la population, enfants, élèves en difficulté, adultes… et pulvérise les interdits hérités des apprentissages classiques.
La force de l’ouvrage ne tient pas qu’à la description d’ateliers auxquels on a immédiatement envie de s’inscrire. Les explications de l’auteur montrent la pertinence des outils conceptuels et de l’appareil logique mis en œuvre. Les psychosomaticiens ne seront pas surpris de voir convoquer l’imaginaire, l’affect, l’état de rêverie et le corps en action dans la production de ces miracles.
La recherche autour du fonctionnement psychosomatique et cognitif tire aussi profit de la présentation des concepts issus de la sémiotique et de la logique de Charles Sanders Peirce. Ce philosophe américain (1839–1914) logicien et pragmatique est considéré comme le fondateur de la sémiotique, c’est-à-dire l’étude de la communication par signe. Pour Peirce, toute chose, tout phénomène quelle que soit sa complexité est un signe dès qu’il entre dans un processus de communication. Au-delà de l’habitude « saussurienne » de ne considérer que le signifiant et le signifié, Peirce prendre en compte « l’interprétant ». C’est ce qui, à partir de l’objet initial, renvoie de représentation en définition–un objet nommé est défini par des mots, chaque mot renvoie à un objet défini par des mots etc., à l’infini. C’est aussi l’intention de l’énonciateur et l’interprétation du récepteur. C’est enfin le « commens », c’est-à-dire l’habitude commune, la norme, la loi, « à la fois stable, enfermant et capable d’évolution », « tout ce qui est et doit être bien compris entre
énonciateur et interprète pour que le signe puisse remplir sa fonction. » pour un groupe donné, chaque échange linguistique est possible grâce a cet implicite et détermine alors un nouveau consensus. Ainsi la communication est-elle d’emblée relationnelle et historique et la norme quelque chose que l’on peut s’approprier et recréer et non subir. « L’être humain accomplit et dépasse son existence en tant que sujet en devenant créateur et interprète de ses propres signes et de ceux qu’il découvre dans le monde. Cela ne lui est possible qu’en tant qu’être social et historique car la pensée et la signification sont des processus communautaires et non des processus que le penseur accomplirait seul dans sa tête. » (Tremblay Raymond-Robert, 1997)
Par exemple un échange d’expériences en psychosomatique relationnelle s’organise dans une communauté de définitions autour du rêve, de l’affect, du corps, de l’identité, de la maladie… Ces termes renvoient à une réalité pragmatique, scientifique mais aussi à ce que la théorie en fait et à ce que chacun en comprend. Chaque échange affine pour le groupe autant la théorie implicite que les interprétations personnelles. Chacun poursuit sa pensée nourrie par celle des autres mais aussi dans un travail de déchiffrement de sa propre compréhension des choses.
Deux autres concepts développés par Peirce intéressent la recherche au premier chef : l’abduction et la priméité. Considéré comme un précurseur de Karl Popper, Peirce tient la méthode scientifique
comme la façon de penser la plus ancrée dans la réalité pour « fixer de manière la plus juste nos croyances » (Peirce Charles Sanders, “Comment se fixe la croyance” et “Comment rendre nos idées claires”, Revue Philosophique, décembre 1878, pp 553-569, disponible en ligne). Son postulat fondamental est « qu’il existe des réalités dont les caractères sont absolument indépendants des idées que nous pouvons en avoir ». Il conçoit la vérité comme un bien commun à tous et la méthode scientifique comme le moyen pour tout homme d’arriver à la même conclusion finale. Et en fait, dans la vie quotidienne, nous utilisons la méthode scientifique, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Cette démarche se détermine par quatre phases.
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Une phase d’étonnement : un fait surprenant trouble notre état de croyance.
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Une phase d’abduction : nous formulons une hypothèse, nous « devinons » ce qui peut expliquer ce fait.
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Une face de déduction : nous en tirons des conséquences que nous testons ou vérifions.
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Une phase d’induction : nous généralisons à partir de résultats qui vérifient l’hypothèse, lèvent le doute et assoient une croyance remaniée… jusqu’à preuve du contraire !
Peirce lie donc la démarche scientifique à des sentiments d’étonnement, de doute et de croyance en tant que moteurs de l’attitude de recherche. Il ne coupe pas la méthode de la curiosité du chercheur, de son désir de vérité ni de son intuition. Il l’enracine dans un ressenti profond qui lie le chercheur à son monde et à la connaissance de son époque c’est-à-dire à l’état historique de la croyance. Comment ne pas faire le lien avec les descriptions d’Antonio Damasio des sentiments éprouvés puis conscientisés c’est-à-dire nommés, comme mode de relation corporel et sensitif au monde ? (Damasio Antonio, (Le sentiment même de soi, Odile Jacob, Paris, 1999, et Spinoza avait raison, Odile Jacob, Paris, 2003) D’autant que Peirce voit dans la production d’une œuvre d’art la même démarche déterminée par quatre phases. (Everaert-Desmedt Nicole, L’esthétique d’après Peirce, in Louis Hébert(dir.), 2006, Signo, Rimouski, Québec)
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Une phase non pas d’étonnement ni de doute mais de trouble causé par un chaos de sentiments pour lequel il n’existe pas d’objet approprié.
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Une phase d’abduction qui n’est plus ici la tentative de formuler une hypothèse, mais celle de capter des qualités de sentiments pour essayer de les ressentir, de les « voir en pensée », de lespenser.
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Une phase de déduction, de mise en forme de ces qualités de sentiments où l’artiste les projette dans un objet approprié, l’œuvre d’art. Il les nomme comme dans le travail de l’écrivain ou les compose dans une image comme en peinture ou en photographie, etc.
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Une phase d’induction, de jugement par l’artiste sur son œuvre. L’œuvre est auto–adéquate lorsqu’elle rend intelligible la qualité de sentiment éprouvée par l’artiste.L’art est donc un moyen de connaissance, d’accroissement d’intelligibilité pour le récepteur qui doit faire preuve de sympathie intellectuelle, d’attention pour entrer dans la logique de l’œuvre etagrandir son propre monde intérieur.Le concept de qualia , bien que controversé en neurosciences, recouvrant l’aspect vécu, «intrinsèque » des représentations conscientes, peut être rapproché des qualities of feeling. (Delacour Jean, “Le problème des qualia“, in Connaissance et cerveau. La nouvelle frontière des neurosciences, De Boeck Université, Bruxelles, 2001.) Cette partie de l’œuvre de Peirce, qui s’éloigne de la sémiotique et de la problématique de la langue, parle au chercheur dans sa tentative de transmettre le résultat de ses observations. D’autant qu’au niveau pédagogique, Joëlle Cordesse utilise la même démarche pour débloquer l’abord multi–linguistique.
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La phase d’étonnement devant le challenge proposé : lire en deux heures un texte en polonais, par exemple, va déclencher un changement de comportement et mettre en marche le plaisir d’apprendre.
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La phase d’abduction convoque toutes les capacités des participants à formuler des hypothèses, à deviner, à ne pas avoir peur de partir dans tous les sens, de suivre ses intuitions ni d’avancer en se trompant.
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Les phases de déduction et d’induction se produisent dans le travail en petit et grand groupe, où les mises en commun et les expressions de chacun s’autorisent et se nourrissent mutuellement.
De fait, la philosophie de Peirce, comme toute pensée profondément ancrée dans la réalité humaine, éclaire d’un jour nouveau la compréhension de mécanismes cognitifs prouvés scientifiquement bien après lui. Son pragmatisme est à visée émancipatrice. Ainsi, le recours à la logique de la pensée permet de dépasser totalement la problématique de l’adaptation à une norme portée par une langue. Joëlle Cordesse en est l’ambassadrice subtile, profonde et enthousiaste.
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