Par Joëlle Picard-Cordesse, 1985
article paru dans Dialangues n°0, La langue, ça s’imite, s’invente, s’invite !
juin-juillet-août 1985
Joëlle Cordesse-Picard
Bien plus que la naïveté de l’expérience sensible, la langue est le lieu privilégié de la résistance à l’intégration d’un savoir nouveau, transformateur des représentations du monde. Savoir signifie souvent entrer dans un autre système de normes, renoncer à son appartenance sociale, à son identité propre, s’aliéner. Cela explique peut-être la relative réussite en maths de certains enfants qui échouent par ailleurs dans les domaines où la langue est plus fortement ou plus visiblement impliquée.
Un savoir n’est véritablement construit que lorsqu’il a conquis sa place, de façon polémique, dans la langue propre du sujet, dans son propre système de références implicite, au travers d’un travail sur son système symbolique de représentation du monde.
La force conservatrice et aliénante de la langue, c’est qu’elle joue nécessairement, socialement, sur l’implicite, sur le consensus qui se construit au sein d’un groupe social au travers de pratiques partagées. Imaginons un discours où l’on expliciterait au fur et à mesure le sens que l’on donne à chacun des mots que l’on emploie… Vertigineuse spirale… Or, du consensus à la norme, il n’y a qu’un pas, vite franchi par le(s) garant(s) de la cohésion du groupe, par celui qui désire, parce qu’il y va de son identité, appartenir au groupe et être reconnu par lui, et par celui qui s’en exclut parce qu’il ne peut pas s’y reconnaître ; l’idée de norme véhiculant celle de l’unicité, de l’exactitude et de l’immuabilité du sens.
La force transformatrice de la langue c’est que le consensus, justement, ça se construit, comme état d’équilibre purement fictif, et que déstabilise chaque prise de parole ou d’écriture d’un sujet individuel ou collectif. C’est le caractère souple et mouvant du signe, lieu de cristallisation des conflits, idéologiques et culturels, entre les sujets.
Toute prise de pouvoir sur le monde passe par une prise de pouvoir sur ma langue, celle dans laquelle je construis mon identité ; par la prise de conscience de son historicité, individuelle et sociale…
“On va pas discuter sur les mots !” Si, justement. C’est bien toujours sur les mots qu’on discute quand on veut transformer la réalité.
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