La parole par tous !


Joëlle Cordesse

Col-loque, ou, en latin, cum-loqui : lieu où l’on se rencontre pour parler, lieu de rencontre et de réflexion collective, où chacun apporte son savoir et vient chercher celui des autres avec le souci d’élaborer ensemble le(s) sens d’une idée. Pas un lieu de transmission de certains vers les autres mais d’échange et d’élaboration entre tous, avec comme premier enjeu de faire naître la parole de ceux qui ne parlent pas, sans faire taire celle de ceux qui parlent ! Pas un stage où il y aurait à transmettre des acquis officiels de l’anthropoglossophilie mais une  confrontation de pratiques de pédagogie du langage où des gens différents ont mis en jeu leur goût pour les langues pour s’interroger ensemble sur le sens de ces pratiques et leurs enjeux culturels, politiques, idéologiques. Il me semble donc qu’il y a lieu de donner carte blanche aux intervenants et animateurs des différents ateliers et démarches en misant sur la diversité des approches pédagogiques et de travailler finement le dispositif d’ensemble, en visant l’engagement des personnes dans leur propre démarche de création intellectuelle… par l’écriture, par la parole, par le débat en petits groupes, par la production et l’affichage de textes, d’œuvres plastiques, de tout ce qu’on veut par quoi une personne s’inscrit dans un univers collectif de pensée.

Analyse politique de la situation dans laquelle se tient ce colloque :

Campagne électorale 2007 : Une parole populaire en train de naître contre les idées reçues. Un véritable débat à gauche si on confronte les discours de Bové, Voynet (remarquable), Besancenot, des idées, des affirmations fortes, des analyses. le travail des collectifs unitaires, une parole collective qui se représente dans des candidats ne pouvant pas prétendre à être élus individuellement. Un des problèmes auxquels se heurte la possibilité de l’émergence d’une grande force révolutionnaire me paraît être la difficulté pour la plupart d’entre nous à situer clairement le lieu d’où naissent et le lieu où se développent les idées claires qui permettent les sorties de crises. Qui est réellement en mesure de penser les solutions ? Les quelques-uns qui sont passés par les grandes écoles censées sélectionner l’élite intellectuelle de la nation ? Ceux-là, plus les quelques génies autodidactes et créateurs qui défient les fatalités par leurs talents exceptionnels et mystérieux ? L’intelligence est-elle neutre et indépendante des conditions de vie et des rapports sociaux que vivent les personnes ? Une intelligence sélectionnée par l’école ou par les média est-elle supérieure à une autre là où il s’agit de penser un monde encore jamais imaginé ? Quand le Pôle fond et que la terre brûle, n’est-ce pas l’intelligence de l’ensemble de l’humanité qu’il faut mobiliser de toute urgence ?

L’enjeu de ce colloque, je le situe là, humblement et modestement au regard du nombre que nous pouvons être, mais avec beaucoup d’ambition au regard de la logique que représentent sa structure, son organisation, les pratiques très concrètes que nous avons travaillées pour faire naître la possibilité d’une véritable élaboration de pensée collective. Le but : faire germer en nous de nouvelles croyances, de nouveaux possibles dont nous sommes porteurs mais que nos habitudes nous poussent à faire taire au nom d’une certaine rationalité. Le but de ce colloque est aussi d’interroger nos représentations de la rationalité, de revitaliser ce concept qui sert trop souvent de légitimation à une pensée centraliste en délégitimant toutes les autres.

La “controverse scientifique” : conscientiser sa propre expertise

Il s’agit d’un dispositif permettant de clarifier les enjeux conceptuels d’un choix de paradigme de pensée. On le fait en faisant s’exprimer des  positionnements argumentés et en organisant leur rencontre de manière à mettre à jour les divergences, les contradictions, non pas pour faire gagner une position sur les autres comme dans un match, mais pour contraindre chacun, là sur place et par la suite, à affiner ses arguments et donc à entrer en dialogue avec lui-même et avec d’autres, dans le but de parvenir, collectivement, à une meilleure connaissance de l’objet commun, et, individuellement, à une meilleure connaissance de son propre rapport à l’objet commun.
J’en retiens d’autre part l’idée d’une structuration du débat en deux temps, et en deux “cercles” : un premier cercle constitué de deux à quatre ou cinq personnes ayant travaillé la question de manière approfondie et porteuses de positionnements solides, qui échangent leurs arguments pendant la première partie de la rencontre, et un deuxième cercle qui sera invité à intervenir dans un deuxième temps. La préparation d’un tel dispositif demande que nous ayons préalablement commencé de mettre à jour entre nous les enjeux qui pourront se travailler dans ce week-end et choisi en fonction les personnes de ce “premier cercle” et la commande précise à leur passer pour leur intervention.
A cet effet, je vous propose de lancer la controverse entre nous à partir de la question telle qu’elle est formulée sur le tract (et qui pourra évoluer au cours de cet échange).

Nous sommes arrivés, à quelques-uns, à l’idée que, avec ses deux « cercles », cette forme que nous appelons “controverse” était ce qui rendait possible le projet annoncé de “colloque populaire”. Elle permet d’inclure dans le processus de réflexion toutes les formes d’expertise sur la question. Or, sur les questions du langage, tout sujet parlant possède une expertise qui, pour être valide et constituer un apport à la connaissance générale du langage, demande à être conscientisée.

Et l’hypothèse du labo de Babel que, personnellement, je revendique, est qu’une certaine connaissance vécue de problèmes humains liés au bilinguisme, au plurilinguisme, à la diglossie, à l’émancipation linguistique, etc, appartient aux plus opprimés, aux gens des peuples dans leur diversité, et qu’on ne peut pas faire l’économie d’une conscientisation de cette expertise par les « gens », quels qu’ils soient, si on veut comprendre quelque chose aux phénomènes d’exclusion intellectuelle et culturelle.

C’est l’objet des pratiques qui seront présentées et vécues les trois journées. Conscientiser sa propre expertise ne va pas de soi, et demande des mises en situation du type de la “démarche d’auto-socio-construction”, de l’atelier de création suivi d’analyse, ou de la pédagogie freirienne, dont nous espérons avoir un exemple le samedi après-midi grâce à nos contacts avec l’Institut Paulo Freire en Espagne et en Italie.

La situation de “controverse” qui sera proposée le vendredi soir fait partie de cet ensemble de situations conscientisantes et dialogiques. Elle prépare celle du samedi, où les débatteurs devraient être des personnes issues des groupes de travail. Elle peut constituer déjà, par elle-même, à la fois un apport de connaissance scientifique élaborée ailleurs par les experts que nous aurons sollicités, et une mise en scène d’un débat collectif déjà engagé de manière beaucoup plus large.
Je vois donc un deuxième intérêt à l’échange préparatoire que je vous propose, celui de tester un dispositif à proposer ensuite aux classes, et à d’autres “cercles” concernés par cette question, et qui pourrait faire “remonter” des arguments, des pensées, que nous n’aurions pas eues et qui sont l’apport de classes populaires ayant dans leur vie un rapport aux langues qui fait de notre objet de travail une urgence sociale et politique à partager et définir ensemble.