Controverse : QUEL BESOIN AVONS-NOUS DES LANGUES DES AUTRES ?
Christian Lagarde
Oui, nous avons besoin des autres langues et des langues des autres. Parce que :
A. Les préalables
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Derrière les langues, il y a toujours celui/ceux qui les parle(nt).
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Notre langue ne nous est d’aucune utilité s’il n’y a pas d’Autre. Il n’y a pas d’identité sans altérité.
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Une même langue sert à communiquer entre locuteurs de cette langue, à l’intérieur d’une même culture ( = un même système de valeurs, de référents, etc.). La langue fonde la collectivité du « nous » (la communauté linguistique).
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Pourrions-nous parler tous la même langue ? C’est oublier qu’à l’état naturel, toute langue est fragmentée (diatopiquement, diachroniquement, diastratiquement et selon la déclinaison en « -lectes »).
→ Les langues sont donc nécessaires (on en « a besoin ») et elles fonctionnent d’elles-mêmes en sécrétant de la différence.
B. Les paradoxes de la diversité
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Les Autres ont les mêmes rapports (aussi bien en termes de communication que de culture) à leur(s) langue(s) que moi-même vis-à-vis de la mienne.
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Elles sont donc a priori, toutes, d’une égale légitimité pour leurs locuteurs.
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Disqualifier la langue de l’Autre, c’est donc le disqualifier, en tant qu’individu, voire en tant que membre d’une communauté linguistique.
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Les langues sont-elles pour autant égales en droit ? ont-elles pour autant le même poids, la même cote ?
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Si elles ont toutes, a priori, la même valeur symbolique pour leurs locuteurs, force est de constater qu’elles n’ont ni la même valeur communicative, ni le même statut (sociopolitique).
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C’est parce qu’elles sont instrumentalisables, susceptibles de rentrer dans un rapport de force, qui est celui de la domination.
→ La survie (de la diversité) des langues (celles des autres, mais aussi la mienne) ne va donc pas de soi.
C. Ce que nous devons aux autres, nous nous le devons
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La linguistique a globalement montré que les langues se rapprochent par des « universaux », mais en même temps qu’elles se distinguent selon les principes et modalités du « relativisme culturel ».
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Cela suppose que nous admettions que nos semblables (les autres, parlant d’autres langues, avec qui nous avons toujours des points communs) ne sont pas identiques à nous.
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Qu’ils ne doivent pas être identiques à nous, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas l’obligation de l’être, et qu’il serait dommageable qu’ils le soient.
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Nous nous devons donc un respect mutuel, selon une égalité de droit, sans pour autant occulter nos différences.
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Nous avons intérêt à reconnaître, puis à connaître ces différences. La curiosité, la découverte, sont des moteurs d’intelligence. Et la connaissance,l’antidote à la haine, à l’exclusion, à la ségrégation, au racisme…
→ Les langues des autres sont un miroir pour connaître notre propre langue (par le contrastif) et pour nous connaître nous-mêmes. Or, l’instinct primaire (animal), fondamentalement à la ségrégation, tend à l’ignorer. Il faut donc chasser ce naturel qui est en nous par une éducation à l’altérité. C’est là le prix fixé à la valeur d’humanité. C’est ce que nous devons aux autres, mais aussi ce que nous nous devons à nous-mêmes. Contrairement aux tentations de tous ordres, il faut toujours viser « au-dessus de la ceinture » ; sinon, « l’ange fait la bête ».