Intervention Controverse Christian Lagarde


Controverse : QUEL BESOIN AVONS-NOUS DES LANGUES DES AUTRES ?

Christian Lagarde

 

Oui, nous avons besoin des autres langues et des langues des autres. Parce que :

A. Les préalables

  1. Derrière les langues, il y a toujours celui/ceux qui les parle(nt).

  2. Notre langue ne nous est d’aucune utilité s’il n’y a pas d’Autre. Il n’y a pas d’identité sans altérité.

  3. Une même langue sert à communiquer entre locuteurs de cette langue, à l’intérieur d’une même culture ( = un même système de valeurs, de référents, etc.). La langue fonde la collectivité du « nous » (la communauté linguistique).

  4. Pourrions-nous parler tous la même langue ? C’est oublier qu’à l’état naturel, toute langue est fragmentée (diatopiquement, diachroniquement, diastratiquement et selon la déclinaison en « -lectes »).

Les langues sont donc nécessaires (on en « a besoin ») et elles fonctionnent d’elles-mêmes en sécrétant de la différence.

B. Les paradoxes de la diversité

  1. Les Autres ont les mêmes rapports (aussi bien en termes de communication que de culture) à leur(s) langue(s) que moi-même vis-à-vis de la mienne.

  2. Elles sont donc a priori, toutes, d’une égale légitimité pour leurs locuteurs.

  3. Disqualifier la langue de l’Autre, c’est donc le disqualifier, en tant qu’individu, voire en tant que membre d’une communauté linguistique.

  4. Les langues sont-elles pour autant égales en droit ? ont-elles pour autant le même poids, la même cote ?

  5. Si elles ont toutes, a priori, la même valeur symbolique pour leurs locuteurs, force est de constater qu’elles n’ont ni la même valeur communicative, ni le même statut (sociopolitique).

  6. C’est parce qu’elles sont instrumentalisables, susceptibles de rentrer dans un rapport de force, qui est celui de la domination.

La survie (de la diversité) des langues (celles des autres, mais aussi la mienne) ne va donc pas de soi.

C. Ce que nous devons aux autres, nous nous le devons

  1. La linguistique a globalement montré que les langues se rapprochent par des « universaux », mais en même temps qu’elles se distinguent selon les principes et modalités du « relativisme culturel ».

  2. Cela suppose que nous admettions que nos semblables (les autres, parlant d’autres langues, avec qui nous avons toujours des points communs) ne sont pas identiques à nous.

  3. Qu’ils ne doivent pas être identiques à nous, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas l’obligation de l’être, et qu’il serait dommageable qu’ils le soient.

  4. Nous nous devons donc un respect mutuel, selon une égalité de droit, sans pour autant occulter nos différences.

  5. Nous avons intérêt à reconnaître, puis à connaître ces différences. La curiosité, la découverte, sont des moteurs d’intelligence. Et la connaissance,l’antidote à la haine, à l’exclusion, à la ségrégation, au racisme…

Les langues des autres sont un miroir pour connaître notre propre langue (par le contrastif) et pour nous connaître nous-mêmes. Or, l’instinct primaire (animal), fondamentalement à la ségrégation, tend à l’ignorer. Il faut donc chasser ce naturel qui est en nous par une éducation à l’altérité. C’est là le prix fixé à la valeur d’humanité. C’est ce que nous devons aux autres, mais aussi ce que nous nous devons à nous-mêmes. Contrairement aux tentations de tous ordres, il faut toujours viser « au-dessus de la ceinture » ; sinon, « l’ange fait la bête ».