Pierre SADOULET
Le pari de faire, réussir tous les élèves en latin (ou en grec), en leur donnant le pouvoir de gérer leur apprentissage dans un sens autogestionnaire, m’a conduit à chercher des dispositifs qui permettent non seulement d’entraîner les élèves à une lecture/production de sens par la traduction d’un texte ancien (l’activité de “version”), mais aussi de leur donner l’occasion de se construire plus consciemment des procédures pour dépasser les impasses et savoir quoi faire quand ça “bloque”, quand on ne comprend pas.
En dehors de l’instauration d’un débat permanent sur ce problème, à l’occasion des lectures de textes, j’ai expérimenté deux dispositifs pour créer des vécus de recherche.
1°) D’abord, la “Lettre en polonais“- (cf Dialogue ZEP n°49) qui a permis aux élèves de se rendre compte que, sans connaître beaucoup de choses, on peut, par une recherche poussée et collective, comprendre avec précision un texte.
Il est évident qu’il serait profitable d’utiliser aussi la même démarche avec un texte en langue ancienne, comme l’a fait François Picard (cf Dialangues n°5). L’intérêt de travailler sur un texte en polonais; c’est la découverte qu’il faut peu d’indices pour réussir à comprendre. Alors c’est possible aussi pour une langue ancienne.
2°) Le deuxième dispositif n’est qu’un brouillon de démarche qui s’appellerait Quoi qui coince ? Trouver le sens quand on ne comprend pas.
J’ai présenté cette démarche au stage du Secteur Langue(s) de Pâques 86. Il s’agit d’un brouillon à revoir de fond en comble car visiblement, elle ne fonctionne pas.
Le document d’interpellation (ci-dessous) était en correspondance avec un texte latin du livre, une feuille polycopiée montrant une traduction littérale. Les groupes, traduits en français, étaient mis dans l’ordre du texte latin. Et j’avais indiqué, sous chaque groupe, la traduction qu’on observait en latin.
Le document comportait trois parties qui étaient censées évoquer trois types de situations dans la compréhension d’un texte latin.
a) Le texte est élucidé en entier. Je ne fais aucune erreur sur les indices. Je sais tout. Il ne reste qu’à passer de l’ordre du latin à l’ordre du français.
b) Ensuite le document montre les erreurs d’interprétation ou ne donne pas la traduction de certains mots (supposés non connus de l’élève).
Au fur et à mesure, donc, les élèves se trouvaient avec des phrases de moins en moins préparées où, si l’on ne se sert que des indices pointés par le document, le sens se bloque. Il fallait, pour le trouver, formuler des hypothèses.
c) A la fin du texte, toute traduction disparaissait et il ne restait que quelques indices grammaticaux.
Il s’agissait donc, au fur et à mesure, de limiter l’aide pour mettre les élèves en face des difficultés qu’ils pourraient avoir dans leurs propres lectures. La démarche s’est déroulée de la façon suivante :
2ème heure :
1. Magistral (en situation ?) Étant donné l’affolement observé face à la recherche proposée, j’ai recouru à un magistral (affiche commentée) pour proposer un outil permettant de travailler quand ça bloque : la grille fonctionnelle (ci-dessous). L’idée. .était qu’il permettait de dépasser l’angoisse par un faire, indispensable à la mise en route de l’imagination.
1ère heure :
1. J’ai d’abord fait noter, après avoir présenté l’objectif de la démarche, la formulation suivante : “La lecture d’un texte suppose que l’on fasse des hypothèses sur le sens avant de traduire.” La phrase fondamentale du français a l’ordre suivant : Conjonction S V (CCM) / COD COS CC / ATTR
2. Individuel : Chercher le sens et la traduction correcte des phrases du polycopié. Chacun va le plus loin possible.
3. Groupes de 4 : Que se passe-t-il quand ça bloque ? Essayez de chercher ensemble comment faire pour trouver le sens (formulation sur feuille volante ou affiche). Cela a fait un beau vacarme. Les deux classes étaient complètement angoissées face à la difficulté pour trouver un sens aux phrases. La consigne de recherche d’une tactique d’ investigation n’a pu être suivie, la réponse au problème n’étant que l’angoisse de ne pas comprendre: la peur de l’inconnu dont parle François Picard.
La procédure consistait donc, pour l’essentiel, à tenter, à partir des indices grammaticaux, de mettre les groupes de mots dans l’ordre français pour déterminer tout ce qu’on comprenait. 2. Par groupes de 2 : Essayer d’appliquer la grille au polycopié. Sur l’instant, si je me rappelle bien, l’ outil a permis de débloquer la situation.
Évaluation : Ça coince ! La grille fonctionnelle n’a été un outil opérationnel que pour 4 ou 5 élèves parmi les 48 que j’avais cette année-là.
– Le fait de proposer un travail à moitié fait (pour orienter l’attention sur le problème de la mise en ordre des groupes à partir du désordre latin) a étonné les élèves. Ce type d’outil leur paraissait mystérieux et arbitraire.
– Où laisse-t-on fonctionner l’imaginaire en proposant ces phrases en “laçais” (latin transposé directement en français)? N’aurait-il pas été plus payant de les faire construire par les élèves en partant de leurs problèmes réels ? Il y aurait eu alors problématique réelle.
– Visiblement les élèves n’ont pas compris le problème malgré toutes mes explications (comme quoi expliquer ça empêche souvent de comprendre)
– La grille fonctionnelle permet d’expliciter ce qu’on sait. Mais elle ne permet pas de trouver le reste parce qu’elle empêche de remettre en cause des hypothèses. Elle n’est pas opératoire.
– Faut-il imposer une procédure, alors que chacun se construit le sens à sa façon ?
Quelques directions de recherche :
– Quand toute la classe ne comprend pas une phrase, alors lui faire analyser le problème en utilisant un mode de représentation adéquat (par exemple la grille fonctionnelle mais en ajoutant une analyse des possibilités de sens).
Essayer à cette occasion d’expliciter les hypothèses contradictoires. Faire chercher les moyens de chercher le déblocage.
– Quand le problème semble pris en compte par les élèves, alors créer un dispositif à partir d’un texte difficile. Éviter de proposer un document mâchant artificiellement le travail, comme je l’ai fait.
– Il conviendrait de faire une enquête pour savoir à quelles actions réelles nous faisons appel pour élucider un texte qui bloque. L’idée de recourir à une analyse grammaticale explicite est-elle le moyen le plus adéquat ? Si les élèves rechignent à faire ce type d’analyse, est-ce seulement par paresse ou incompétence ou parce que, tout simplement, ça n’est pas opératoire? Le sens se construit-il par un mot à mot de traduction ? Sans hypothèse générale préalable, on ne peut construire un sens. Alors ?…
Texte p 88 La fondation de Marseille MAGNARD 4ème A) Si l’on trouve tout sans se tromper :
1.
Les phocéens
|
marins expérimentés
|
d’Asie
|
jusqu’au lointain pays
|
de Gaule
|
avaient navigués
|
et
|
jusqu’à l’embouchure du Rhône
|
étaient allés.
|
ns
|
np
|
ex+abs
|
usque ad+acc
|
gs
|
3p plus que pft
|
conj
|
ad+acs
|
3p plus que pft
|
2.
La beauté du lieu
|
les marins
|
avait charmé
|
ns
|
acp
|
pl q pft 3s
|
3.
De là | à Phocée | rentrèrent | et là | la beauté | de la région | louèrent. |
adv | acs | pft 3p | adv | acs | gs | pft 3s |
4.
C’est pourquoi | de nombreux citoyens | avec une grande flotte | de la ville | partirent | et | vers la côte de la Gaule | naviguèrent. |
conj | np | cum + abl | ax+abs | pft 3p | conj | ad +acs | pft 3p |
B Mais le plus souvent, on ne sait pas du tout et on fait des erreurs :
5.
Avec | dans la Gaule | adfuerunt ? | Simos et Protis | les chefs de la flotte | Nannus | le roi de la région | vont trouver. |
cum + abl | in + abl | ? | ns ou acp ? | gs | acs | acs | pst 3p |
6.
Alors | par hasard | le roi | de la fille | le mariage | préparait. |
adv | adv | ns | gs | ns | impar 3s |
(sans modification des premières hypothèses, on ne peut pas retrouver le sens. Il faut donc avoir les mots latins sous les yeux et chercher d’autres solutions)
7
Filia, | gentis | more | in convivio | virum | eligere | debebat. |
ns | acs | abs | in + abs | acs | inf | impa 3s |
Sa fille les peuples avec une habitude dans un banquet un homme choisir devaient
8.
Rex | Phocaeenses | ad convivius | vocat. |
ns | np ? acp ? | ad + acs | pst 3s |
9.
Puella | intrat | ceteros | autres | convivas | non videt | Graecos | tantum | spectat | et aquam | Proti | praebet. |
Ns | pst 3s | acp | conj | acs | pst 3s | acp | acs neutre | pst 3s | acs | gs | pst 3s |
La jeune fille | entre | les autres | or | convives | ne voit pas | les grecs | ? | ? | l’eau | de Protis | ? |
10.
Ita | Nanni | filia | Protis | uxor | fuit ; | rex | agros | dedit | Phocaeensibus | ibique | urbem Massiliam | aedificare | potuerunt. |
conj | np | abs | ns | ns ou vs | pft 3s | ns | acp | ? | d. ab p. ? | adv | acs | inf | ? |