Ferdinand de Saussure, Écrits de linguistique générale,
NRF, Gallimard, 2002,
Il n’est de grammaire que comparée
p.174-175
“ Le nom de Grammaire comparée éveille plusieurs idées fausses, dont la plus fâcheuse est de laisser croire qu’il existe une autre grammaire scientifique que celle qui use de la comparaison des langues.
Comme la grammaire bien comprise n’est autre chose que l’histoire d’un idiome, et que toute l’histoire offre beaucoup de lacunes, il est clair que la comparaison des langues devient par moments notre seule source d’information (précieuse même au point de pouvoir tenir lieu du document direct), mais elle n’est jamais en somme que notre pis-aller.
La grammaire devient donc par nécessité comparative, à l’instant où le monument authentique et précis fait défaut ; il n’y a rien là qui puisse caractériser ni une tendance ni une école ni une méthode particulière. C’est simplement la seule manière de faire de la grammaire. Nous repoussons donc toute épithète particulière telle que celle de comparateurs, de même que nous refusons naturellement toute espèce d’existence à une grammaire qui ne reconnaîtrait pas la comparaison parmi ses moyens d’investigation ”.
Une succession d’événements : la langue se compose de faits
ibid. p.149-150.
“ Plus on étudie la langue, plus on arrive à se pénétrer de ce fait que tout dans la langue est histoire, c’est-à-dire qu’elle est un objet d’analyse historique, et non d’analyse abstraite, qu’elle se compose de faits, et non de lois, que tout ce qui semble organique dans le langage est en réalité contingent et complètement accidentel.
La linguistique est une science historique.[…] C’est que toute langue a une histoire qui se déroule perpétuellement, qui est faite d’une succession d’événements linguistiques, lesquels n’ont point eu de retentissement au-dehors et n’ont jamais été inscrits par le célèbre burin de l’histoire ; de même qu’à leur tour ils sont complètements indépendants de ce qui se passe au-dehors. Continuité, ininterruption forcée et transformation dans le temps ; continuité et divergence dans l’espace ”.