Déchiffrer l’invisible des signes d’apprentissage des langues.
Pédagogie de l’égalité des intelligences.
Extrait de l’introduction de l’exposé de soutenance
Avec un peu de recul, on constate que les gens qui apprennent l’anglais à l’école en sont de plus en plus écartés, alors que sans enseignement systématique, dans certains pays très pauvres, les enfants apprennent l’anglais, comme ils apprennent d’autres langues, et plus généralement on dirait que plus on enseigne une langue plus on la rend inaccessible. Faut arrêter d’enseigner les langues ? Suffit-il d’envoyer les gens dans le pays pour qu’ils apprennent ? D’un point de vue très pragmatique, pour un prof d’anglais, qui rencontre tous les jours des classes d’anglais, l’idée qu’il est impossible d’enseigner l’anglais en classe, si elle peut déculpabiliser un peu pendant quelque temps, ne peut pas longtemps suffire.
“Tous capables”, c’est aussi tous capables d’enseigner, et de réussir le défi que représente une telle situation. C’est aussi tous chercheurs”, c’est-à-dire tous capables d’inventer ce qu’on ne trouve pas dans les acquis de la recherche institutionnelle et des sciences de l’éducation. C’est là que se situe la première étape de cette recherche, sur ce que nous appellerons son pôle pratique, quand il s’est agi de résoudre grâce à la démarche le problème de réussir à enseigner l’anglais à des élèves. L’objet de la thèse est de décrire et d’expliquer théoriquement ce qui a été découvert là. Et ce dans des termes assez généraux pour intéresser aux enseignements de cette démarche ceux qui n’en partagent pas l’expérience, et pour qu’ils puissent interpréter les propositions théoriques dans les termes de leur expérience propre.
La Démarche d’auto-socio-construction s’est inventée sur une épistémologie qui croisait les apports de Piaget, de Wallon, de Bachelard. C’est une épistémologie du savoir scientifique, qui ne rend pas compte de la nature du savoir linguistique. En conséquence, la simple application du concept d’auto-socio-construction aux “contenus” des programmes d’anglais ne marchait pas. Il a fallu inventer autre chose, réinventer une épistémologie plus adéquate à l’objet. En théorisant des découvertes épistémologiques, cette thèse se veut une contribution à une épistémologie du savoir linguistique.
Cette recherche s’est inscrite dans un cadre théorique qui n’est pas celui de la didactique des langues mais celui de la sémiotique. Nous avons besoin d’élaborer un appareil critique qui ne s’adresse pas seulement aux enseignants d’anglais, tout en intégrant la dimension de leur formation de base et continue, et qui s’adresse aussi au GFEN et à l’Éducation Nouvelle d’aujourd’hui, comme auteur collectif et promoteur du concept et de la pratique de la Démarche. La sémiotique est apparue comme l’outil qu’il fallait, par son caractère transdisciplinaire et par le fait que son objet se situe en amont des cadres des disciplines particulières.
Résumé de la thèse
La didactique des langues ne peut se passer d’une réflexion épistémologique. À partir d’une analyse sémiotique de quatre “démarches d’auto-socio-construction” utilisées en classe d’anglais et en formation d’adultes, de leur genèse, de leurs effets transformateurs, l’ouvrage met à jour les problématiques spécifiques de l’enseignement d’une langue étrangère et de son apprentissage, réunies sous le terme de “paradigme de l’étrangeté”.
La logique des situations d’apprentissage institutionnel des langues peut-elle se conformer à la logique de leur développement historique ? Il faut, pour y parvenir, réintroduire dans notre conception du savoir linguistique les dimensions anthropologiques de la parole et du langage, renoncer à la coupure épistémologique entre rationnel et imaginaire, entre général et singulier, rétablir une conception de leur continuité. La triade peircienne nous le permet. L’apprentissage d’une langue étrangère est une aventure de la subjectivité, de l’intersubjectivité, une interaction de systèmes, et une acquisition de normativité. Il relève, comme stratégie d’action, d’une analyse systémique et d’une analyse institutionnelle. Comme stratégie de développement, il demande de penser l’inscription de chaque sujet dans un devenir collectif de la pensée et de ses formes, en permanence renégociées. Le savoir linguistique est nécessairement diachronique. Il se définit comme un système d’habitudes en développement, que les situations pédagogiques visent à modifier. Il est prototypique, c’est-à-dire catégorisant, effet d’un acte volontaire de la conscience, jugement et intime conviction dont l’effet est de modifier les perceptions. Ceci induit des phénomènes complexes de résistance culturelle à l’intrusion de l’autre, obstacle à l’apprentissage qui ne se lève qu’en faisant du plurilinguisme une première étape et un cadre facilitant dont le bilinguisme peut apparaître comme une spécialisation.
La démarche d’auto-socio-construction y est vue comme mise en forme et mise en acte d’une dynamique anthropologique, un type de signe qui, par son caractère parfaitement équilibré, peut constituer une stratégie pédagogique et, au-delà, un analyseur des stratégies pédagogiques en général et de leur valeur émancipatrice.
Language didactics cannot do without an epistemological reflexion. Starting from a semiotic analysis of four “auto-socio-construction” workshops used in English classes and training of adults, of their genesis, their transforming effects, the work updates the specific issues of foreign language teaching and learning, joined together in the term “paradigm of foreignness”.
Can the logic of institutional language teaching situations conform to the logic of the historical development of languages? This will make it necessary for us to reintroduce the anthropological dimensions of speech and of language into our conception of linguistic knowledge, fill the epistemological gap between reason and imagination, general and singular, and restore a notion of their continuity. The peircian triad makes this possible. Learning a foreign language is an adventure of subjectivity, intersubjectivity, an interaction of systems, and an acquisition of normativity. As a strategy of action, it is relevant to systemic and to institutional analysis. As a strategy of development, it asks for a theory of the inscription of each subject in the process of collective thinking and in its permanently renegotiated forms. Linguistic knowledge is necessarily diachronic. It is defined as a system of developing habits, that the teaching situations aim at modifying. It is prototypic, i.e. categorizing; the effect of a voluntary act of consciousness, a judgement and intimate belief the effect of which is to modify perceptions. This induces complex phenomena of cultural resistance to the intrusion of the other, an obstacle to learning which is only overcome in dealing with plurilingualism as first step and facilitating environment, making bilingualism appear as a specialization of it.
The auto-socio-construction workshop is here seen to embody and enact an anthropological dynamics; a type of sign which, with its perfectly balanced character, gives shape to a particular teaching strategy and, beyond, affords an analyser of teaching strategies in general and their emancipating value.
Mots-clés : épistémologie des langues, démarche, logique triadique, éducation nouvelle, prototype, plurilinguisme, sémiotique, auto-socio-construction, savoir linguistique.