Participes Dépassés


Colette Castelly

Eux, nous, moi et les autres

Depuis longtemps, nous (militants de l’Éducation Nouvelle en Rhône-Alpes) sommes en recherche sur les participes passés, point de passage obligé de l’échec scolaire. Nous avons mis au point une série de situations permettant d’approcher le lièvre mais non point de le débusquer, lorsque nous lisons l’article de Jeanne Dion dans le DIALOGUE n°50 “Quand les erreurs du passé deviennent les règles du présent” et découvrons qu’une simple manipulation de phrases, par fléchages, permet de visualiser et conceptualiser l’avant et l’après, l’accord et le non-accord.

Ex: J’ai lavé mes cheveux.
Mes cheveux que j’ai lavés.

— Un raccourci en somme dans l’histoire de la langue, et plus ‘particulièrement dans l’histoire de l’accord du participe passé, depuis le temps où la pratique de l’imprimerie commençait à dessiner les contours d’une grammaire non encore codifiée, jusqu’à l’énoncé arbitraire assorti de 17 exceptions décrivant le phénomène.
Riches des découvertes décrites dans DIALOGUE, nous décidons d’élaborer une démarche pour adultes afin de permettre à d’autres de disposer d’un outil de lutte contre l’échec, car quoi de plus fréquent que l’erreur sur les participes, quoi de plus sélectif qu’une mauvaise maîtrise de l’orthographe ?

Une situation d’urgence

Le groupe GFEN Drôme a décidé d’une journée de formation destinée à des enseignants du primaire. Il nous semble indispensable de leur faire vivre le choc qu’a produit sur nous la lecture de l’article… (parce que nous étions en recherche sur la question) sous la forme d’une démarche jalonnée de questionnements pour une recherche impliquante et des avancées en forme de rupture.
Nous nous attelons donc à la tâche mais dès le début le postulat sur lequel repose la démarche de Jeanne Dion (considérer les participes passés comme des adjectifs) pose problème.

Et c’est justement cette situation problème (en fait le descriptif incomplet de la démarche) qui a déclenché une recherche collective et multiple, riche en trouvailles ou découragements, rebondissements et questions nouvelles.

L’animation de l’atelier (dans sa phase embryonnaire) à Montélimar en octobre 84, puis en classe de 4ème et 3ème par deux collègues de Français s’impliquant à leur tour dans la recherche, enfin sa mise en chantier au stage régional de Damian (septembre 85) ont permis la mise au point (non définitive) que nous vous livrons ici.
Des mois d’élaboration collective, ici, à partir de questions formulées par un prof de Maths et d’Espagnol – quel coup porté à la querelle des spécialités ! – Tous chercheurs ! – ont abouti à l’élaboration d’une démarche qui sert non seulement à mettre à mal l’échec scolaire dans ses bastions les plus retranchés, les classes de Français, mis également dans les stages ou les soirées de formation pour adultes pour vivre (de l’intérieur) LA GRAMMAIRE EN RECHERCHE.

Première situation

1ère consigne :

Nous demandons aux ‘stagiaires’ réunis en grand groupe de dire ce que le mot GRAMMAIRE réveille en eux comme souvenirs. Ces ‘flashes’ sont écrits au tableau par l’animateur. On note parmi ces mots jetés :

règles

ennui
erreurs
applications
exceptions
logique
emboîtage

2ème consigne

— Écrire individuellement des phrases qui plaisent, contenant des participes passés. |

— Au cours du travail l’animateur précise la consigne : “Faire varier les cas d’accord”.

3ème consigne (en groupe)

— Dénombrer les cas d’accord.
— Au cours de cette “ré-élaboration” de la règle telle qu’elle a été vraisemblablement apprise, puis oubliée, on distribue les phrases suivantes:

Des pommes, j’en ai mangé une.
J’ai tenu à ces cahiers, j’y ai tenu.

Ces phrases posent immanquablement des problèmes. Elles ne font qu’accroître la liste (déjà longue) des exceptions.

4ème consigne

— se mettre d’accord dans les groupes sur une explication des accords,
— Afficher ses conclusions.

La discussion en grand groupe fait apparaître une abondance de règles et une certaine confusion, que l’animateur ne manque pas d’attiser en proposant des phrases du type:

Elle s’est cru obligée de m’embrasser.
Elle s’est aperçu de son erreur.
Elle s’est aperçue dans la glace.
J’ai mes chaussures ciré, cirées…

Deuxième situation

Distribution d’un ensemble de phrases où la valeur adjectivale des participes passés est flagrante.

Mon cartable est neuf, le tien est usé.
Les hommes désabusés sont malheureux.
Elle est fatiguée.
J’ai usé mes chaussures en glissant, comme elles sont usées !
Mission accomplie.

Consigne : Observez individuellement, puis en groupe, ce corpus.

Question au grand groupe : Le participe passé est-il un adjectif ? Formulez vos hypothèses.

On remarque que les participes passés qualifient toujours un nom. On aboutit à un retour sur l’étymologie,

famille verbale pour les participes passés usé user
famille nominale pour les adjectifs neuf nouveauté

Question de l’animateur : Le participe passé qualifie-t-il toujours un nom?
Retour aux phrases écrites par les stagiaires en début dé démarche.
On passe au crible et on trouve par exemple: Le cheval a bondi. … et bondi ne qualifie pas le cheval. |
Il n’est plus question d’être, d’avoir ; on réinvente la grammaire.
Ce participe passé a un sens actif, verbal, en aucun cas le cheval ne saurait ‘être bondi’.

Pour le cartable ce n’est pas la même chose: J’ai usé mon cartable… et il peut avoir été usé. |

(Recherche d’autres cas de participes passés ayant un sens verbal, actif et ne se rapportant donc pas à un nom).

La vérification des hypothèses se fait, dans la plupart des cas, par le sens.
Il est bien clair pour tout le monde qu’il y a deux types de participes passés:
— ceux ayant une valeur adjectivale (ce sont les plus fréquents).

Mon cartable est usé.
J’ai usé non cartable.

— ceux ayant une valeur verbale, du type:

Le cheval a bondi.

En outre Jeanne Dion établit à juste titre une différence entre les participes passés actifs : J’ai ciré mes chaussures et les participes passés passifs : Mes chaussures sont cirées.

Troisième situation

Distribution du corpus suivant:

Les tables sont lavées à l’éponge.
J’étendis les nappes lavées.
Tu as lavé les assiettes.
Les filles se sont lavé les cheveux.
Les filles se sont lavées.
Ta chemise a été lavée.
Tes mains, tu les as lavées.

1ère consigne :

Soulignez les participes passés.

2ème consigne

Fléchez, du participe passé au nom auquel il se rapporte. |

C’est là que le choc se produit : on visualise l’avant – il y a accord, et l’après – pas d’accord… car on ne sait pas encore avec quoi l’’accorder au moment où on l’écrit. Cinq siècles d’échec en grammaire … rachetés ! … l’immense majorité des cas réglés ! On propose d’allonger la liste avec :

Le cheval à bondi dans la forêt.
L’herbe a bien poussé cette année.

La construction des notions de ’valeur adjectivale’ (= se comporte comme un adjectif), de ‘valeur verbale’ (= ne se rapporte pas à un nom) permet d’écarter ces deux cas de ’pas d’accord’ car la flèche n’aboutit nulle part

(l’herbe n’est pas poussée ni le cheval bondi).

3ème consigne :

Formulez individuellement, puis en groupe, ce que vous venez de construire. Plusieurs formulations sont possibles, simples et claires.

(Il est à noter que le passage par une formulation écrite est indispensable pour que les éléments se mettent bien en relation).

Quatrième situation

1ère question : Cet énoncé règle-t-il tous les cas?

Consigne: retour aux phrases personnelles écrites au début… ça marche. (vérification d’hypothèses) ‘

2ème question : Que faire de : Que sont devenus mes anis?

On remarque qu’il s’agit d’une phrase inversée, comme le sont toutes les phrases interrogatives, et qu’il faut “remettre à l’endroit pour retrouver l’orthographe”: Mes amis sont devenus.

— Quant aux phrases avec un C.O.I. du genre La fille à laquelle tu as pensé on remarque au passage que ce n’est pas la fille qui est pensée.

Retour au sens, dans tous les cas; la grammaire ne devient plus un empilage de tiroirs plus ou moins pleins, mis une source d’hypothèses de sens, de découverte sur l’histoire de la langue (l’étymologie).

Cinquième situation

Il est temps de conclure (2 bonnes heures se sont écoulées) en revenant à la case départ.

La grammaire c’est quoi?

Des mots sont jetés à côté de ceux écrits au début (utiliser une autre couleur de feutre)… On peut lire :

RECHERCHE SENS
REGARD NOUVEAU
MOTIVATION
SURPRISE

Et s’il était encore besoin de se prouver due faire de la grammaire c’est faire du sens en opérant des choix, choix du sujet personnel, parlant, écrivant, jouant des règles multiples et infinies du langage pour inventer son propre sens, on peut terminer par un dessin et des phrases à inventer, ou inversement :

Les pommes que j’ai vu… tomber.                     Les pommes que j’ai vu… tombées.

L’analyse de la démarche dans ses phases d’émergence des présavoirs, de recherche construction-confrontation, formulation par écrit, faire (fléchage), classement permet encore une fois de désacraliser la ‘Recherche’ avec un grand R et de faire vivre le ‘Tous chercheurs’ sur un sujet bigrement pas passionnant au premier abord. Le Regard nouveau sur la grammaire, la prise de Pouvoir sur sa propre langue expliquent en partie la jubilation des stagiaires à dépasser les Participes, observée au cours des Animations.

Élaboré par le groupe local NYONS Colette Castelly

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