Quand le politique montre l’épidémie, le scientifique regarde l’index


Je suis fâché de voir combien la langue scientifique est maltraitée dans cette épidémie. Ainsi que le langage graphique qui permet de modéliser, schématiser, penser le phénomène épidémique. Je me demande parfois si l’omniprésence de la langue de la communication, c’est-à-dire bien souvent de la propagande, n’en est pas responsable.

Il est relativement simple de construire un modèle épidémique. Par exemple, en utilisant le logiciel Stella, on peur construire un modèle comme celui-ci ; un tel modèle doit permettre de calculer ce qui va se  produire ; il permet aussi d’envisager ce qui se passerait dans telle ou telle condition, de le visualiser par des courbes, etc :

Il est par contre difficile de connaître les valeurs nécessaires à paramétrer un tel modèle : dans cette épidémie de Covid, on ne savait pas au début, quelle est la durée d’incubation, quelle est la proportion de contaminés contagieux mais  asymptomatiques, combien de temps dure l’immunité des guéris, etc.

Mais quelles que soient le valeurs choisies, un des facteurs essentiels qui va déterminer la  dynamique de l’épidémie est le R_effectif. C’est le nombre moyen de sujets sains contaminés par un sujet contaminé. Si ce coefficient est plus grand que 1, l’épidémie croît, s’il est plus petit que 1, l’épidémie régresse. Ce nombre R_effectif dépend du variant — à cela nous ne pouvons rien — et dépend des choix sanitaires : distanciation sociale, port du masque, fermeture de certaines activités. Il mesure donc l’efficacité politique des mesures prises.

Or que nous dit-on ? Plus précisément que nous disent la plupart des médias, à partir des informations fournies surtout par les autorités : on nous parle du nombre de morts de la journée, du nombre de morts cumulés, du taux d’incidence, du nombre de malades dans les hôpitaux, du nombre de vaccinés de la journée, du nombre total de vaccinés (flèches vertes sur le schéma). Pas du R_effectif (flèche magenta).

Autrement dit, on nous pointe le doigt (l’index assurément) vers des indicateurs qui ne sont pas les plus pertinents, en omettant un de ceux qui permettrait le plus d’anticiper. On nous décrit un état au lieu de nous décrire une dynamique.

Je vais étayer mon propos par l’usage qui est fait du mot exponentiel. Mathématiquement ce mot désigne une fonction du type y=akx

La représentation graphique d’une telle fonction est comme ceci : à gauche avec k>0, à droite avec k<0

 

Or dans le discours médiatique, et politique, on emploie exponentiel, pour dire que c’est une croissance explosive. Aussi la courbe de droite n’est pas qualifiée d’exponentielle ; en revanche, la fonction y=x4 sera qualifiée d’exponentielle, ce qu’elle n’est pas.

Pinaillerie ? Certes non : car la fonction exponentielle a comme propriété d’être une accélération exponentielle ; c’est à dire qu’elle accélère de façon exponentielle ; et que donc l’accélération de l’accélération est exponentielle. Donc, pendant longtemps, on ne voit pas la courbe décoller [je sais, je sais, ce n’est pas la courbe qui décolle ; c’est une métonymie : “la route qui va à Narbonne” reste sur place]. Comme dans le célèbre problème du nénufar. Si on ne prend pas les mesures de façon anticipée, en sachant ce qu’exponentiel veut dire, on prend des mesures quand la capacité d’accueil en réanimation dans les hôpitaux est atteinte. Quand c’est trop tard. Voilà pourquoi les épidémiologistes ont demandé un confinement dès janvier. Il aurait sans doute été moins long et le nombre de morts moins grands.

Heureusement pour les gens avides de comprendre il y a le magnifique site Covidtracker  créé par Guillaume Rozier. Où l’on trouve la valeur R_effectif suivie jour après jour, ainsi que la méthode de calcul employée pour le calculer :

Méthode de calcul basée sur la méthode de Cori : R = A / B
   A = nb. de personnes admises aux urgences pour Covid19 (sur 7 jours)
   B = nb. de personnes admises aux urgences pour Covid19 il y a 7 jours (sur 7 jours)

Au dessus de la ligne rouge, l’épidémie accélère, en dessous de la ligne rouge, l’épidémie régresse.

Attention, quand R_effectif diminue (la courbe bleue descend) au dessus de la ligne rouge, ça ne veut pas dire que l’épidémie régresse ; ça veut dire qu’elle accélère moins. Quand on accélère moins, on va quand même de plus en plus vite. Ce qu’il faut viser c’est d’être sous la ligne rouge correspondant à R=1.