Un laboratoire inter-Mouvements de sémiotique populaire


 

 

 

Les Labos de Babel. Texte de 2011, mis à jour en mars 2018, essai de définition

Une structure internationale et inter-Mouvements, pour une autre pensée

Sortir de l’entre-soi pour faire vivre sa culture et la penser / donc penser aussi l’entre-soi.

Joëlle Cordesse, 29 juin 2011

 

Ce n’est pas seulement pour eux-mêmes que les fondateurs des Labos de Babel s’engagent dans le projet. C’est de la conscience d’une nécessité politique que l’idée de créer l’association nous est venue. D’abord sortir de l’entre-soi dans une période critique où chacun de nous vit douloureusement les régressions symboliques où il nous entraîne, et ressent la nécessité d’intégrer à la pensée de son mouvement les idées neuves nées de luttes neuves dans une situation inédite, illisible avec les seuls outils d’hier. Ensuite, refonder, reformuler les valeurs et les symboles qui nous mobilisent, les faire échapper au tombeau de l’évidence indiscutée figée par l’Histoire. Donc les Mouvements d’Éducation sont concernés en tant que tels, sur des objets qui aujourd’hui au moins les débordent.

Une culture qui vit est une culture qui se renouvelle. Un système vivant est un système ouvert. L’entre-soi est un enfermement qui nous voue à la dégénérescence, mais il fait partie du système. Il faut donc aussi penser non pas, bien sûr, l’enfermement dans l’entre-soi, mais la spécificité, la singularité, des cultures militantes, comme la singularité des cultures des peuples et des personnes, comme une nécessité de base contre la perte de repères et l’horreur d’une humanité hors-sol.

Éloge des frontières

  • Il faut faire l’éloge des frontières. Le petit livre de Régis Debray se présente comme un manifeste auquel nous pouvons adhérer. La frontière n’est pas nécessairement un mur. C’est d’abord une peau qui protège et définit. C’est une surface d’échange sans laquelle il n’y a pas d’échange possible. A l’intérieur des frontières se développent des cultures, des ressources singulières sans lesquelles il n’y a rien à partager. Les vraies richesses naissent et s’affirment sur des territoires, des terroirs, des terrains d’action bien concrets où peuvent et doivent se nouer, dans la contrainte d’une unité à faire vivre, des liens complexes.
  • Un monde sans frontières devient vite, en revanche, un monde de murs. A l’heure de la mondialisation des « échanges » on voit des murs s’ériger, entre les États-Unis et le Mexique, entre Israël et la Palestine, et ailleurs dans le monde, et surtout dans les têtes, avec la montée des nationalismes et des racismes, le repliement frileux sur l’entre-soi.
  • Pour faire vivre les cultures à l’intérieur de leurs frontières il faut faire la critique des murs. Une culture menacée a tendance à se refermer sur elle-même. Or l’enfermement fait dégénérer. La phrase d’Albert Jacquard, « je suis les liens que je tisse avec les autres » est vrai d’une personne, vrai d’une idée, et vrai d’un mouvement d’idées. S’ouvrir, donc, pour mieux se connaître.

Dans les rapports entre langues, nous nous appuyons sur un constat d’expérience : la fréquentation attentive de langues étrangères permet d’abord de mieux connaître et comprendre la sienne.

Duel et Pluriel

Le mot le dit, le duel c’est la guerre. Les rapports de domination sont des relations duelles. C’est noir ou blanc, c’est vrai ou faux, c’est l’un ou l’autre. Pour coexister il faut que l’un soit dominant, l’autre dominé. C’est ainsi, c’est une logique inhérente aux situations vécues pour elles-mêmes et où n’intervient pas la conscience, Pour voir dans les deux objets en présence autre chose qu’une rivalité pour une place, il faut pouvoir prendre un recul. Par l’imaginaire et par la pensée. Il faut être capable de percevoir les deux comme deux parmi d’autres, comme éléments repérables d’un ensemble plus vaste qui les englobe. Là seulement le sentiment de solidarité peut réapparaître, un commun sentiment d’appartenance à un système plus vaste, un système de rang supérieur.

Il y a un potentiel insoupçonnable de ressourcement et de réinvention de soi dans ce choix que fait la volonté d’inscrire l’action, elle-même toujours régie par des logiques duelles, dans une vision d’un pluriel paradoxal puisqu’il recrée, dans l’esprit et, par suite, dans la réalité, une nouvelle idée de la continuité.

Régis Debray : « Aussi néglige-t-on ce qu’il faut d’ouverture à la verticale pour boucler un territoire à l’horizontale… Un groupe d’appartenance se forme pour de bon du jour où il se ferme, et il se ferme par suspension à un « clou de lumière » – votre déesse Amaterasu, notre « Liberté, égalité, fraternité »,… opération par laquelle une population se mue en un peuple. » p. 63.

Ainsi, les problèmes d’apprentissage d’une langue pourront se résoudre par une approche bilingue ou plurilingue, où la langue à apprendre cesse de menacer la langue maternelle et trouve une place spécifique qui en fait un possible objet de désir.

Défendre une langue c’est les défendre toutes…

Notre choix de défendre toutes les langues forme la vision d’un peuple polyglotte et définit une logique de paix et de coopération.

  • C’est ce changement de logique que les Labos de Babel travaillent. Une logique du pluriel, contre l’enfermement dans le duel, et contre les tentations de l’indéfinition ; à la recherche d’une méthode de production de connaissance et de savoirs qui s’ancre dans l’expérience des personnes comme membres des structures des peuples, et qui s’érige à partir de projets concrets locaux de libération de la parole et d’un dialogue avec les sciences instituées ; l’éducation populaire, l’éducation nouvelle, ont une longue histoire d’invention de pratiques d’intelligence collective où se construisent un désir et une gourmandise de soi comme autre utile à tous. L’intelligence collective n’est pas la somme des intelligences individuelles. Elle a ses formes d’existence propres et nous devons les décrire, les formaliser, en faire l’objet d’une épistémologie de l’émancipation solidaire.L’intelligence des langues, notre question fondatrice, en est à la fois le domaine d’action et le symbole.

On connaît l’inquiétude et les sentiments de rejet que suscite une langue étrangère chez celui (celle) qui ne la comprend pas. Mettons plusieurs langues dans le paysage et l’énigme de leurs étrangetés réciproques fait de leur regroupement, immédiatement, c’est-à-dire sans besoin de maître explicateur, un jeu de pistes qui capte et mobilise la curiosité, lance la recherche, ouvre des questionnements.

Une logique subjectiviste

Cette logique s’oppose à la logique positiviste des alliances “d’appareils”.

La logique du langage et de la parole créatrice joue sur la capacité d’engagement et de désengagement des sujets. Il faut être libre de sa pensée pour réinventer à plusieurs l’avenir d’une idée commune. C’est donc porteurs d’une culture et d’un projet vagues, de mandats ouverts, que les membres des différents mouvements se retrouvent. Ils seront ainsi en position de se laisser interpeller par la culture de l’autre (des autres) et c’est leur mise en questionnement personnel qui nourrira la recherche commune.

La Biennale de l’Éducation Nouvelle, dont la première a eu lieu à Poitiers à l’automne 2017, a pu et pourrait représenter une telle initiative de  redéfinition d’un concept et d’un projet politique partagés, ceux de l’Éducation Nouvelle Internationale, dans le croisement de cultures militantes spécifiques des différents Mouvements, mais portées par des personnes qui s’engageaient dans la rencontre avec leur subjectivité. Il en émerge des objets de travail communs, dont l’utilité sociale ne peut que s’affirmer si la mise en commun critique qui a commencé là se poursuit dans une construction collective de nos savoirs.

Nous invitons donc à s’inscrire dans ce projet

  • les adhérents de mouvements d’éducation se reconnaissant dans un projet d’éducation émancipatrice et solidaire et ressentant le besoin de mieux comprendre ce qu’ils veulent faire, de mieux savoir le faire et de mieux savoir le dire pour mieux le partager.
  • nos mouvements et organisations, à qui nous demanderons de considérer notre association comme une ressource pour leur réflexion, leurs formations, à nous apporter leur contribution sous forme de soutien logistique, de conventions de partenariat, de toute forme de coopération qui convienne à leurs moyens et à leurs habitudes de fonctionnement.

Un laboratoire de science populaire :

Une démarche scientifique de production de savoirs savants à partir de l’expérience extraordinaire de tous et de chacun

Une méthode pragmatiste : pas de savoirs purement énonciatifs mais des savoirs qui s’énoncent dans une visée d’émancipation, et d’action transformatrice.

Dans les années 60, 70, avec l’appui de philosophes et d’éducateurs nous avons fait la critique de l’Institution scolaire comme lieu de reproduction sociale par ses modalités instituées de transmission du savoir établi. Les mouvements d’éducation nouvelle sont nés de la critique des modalités de la transmission républicaine du savoir.

Entre instituer et confisquer une fonction il n’y a qu’un pas, celui du passage du pouvoir de l’Institution à celui de l’établissement qui la représente. L’Institution scolaire a confisqué le savoir aux familles et aux communautés « villageoises », aux cultures, alors qu’elle se veut ou se dit institution de mise en partage de la connaissance et du savoir.

La puissance créatrice des mouvements d’éducation populaire au sens large nous pousse à une exigence nouvelle : la critique des modes d’établissement des savoirs scientifiques et de leur validation par les Institutions de recherche. L’Université n’est pas le seul lieu de production des savoirs scientifiques. Elle est le lieu de leur validation par l’État. Les contenus de savoir qu’elle produit et tend à valider sont tributaires de méthodes de recherche qui ne sont pas universelles, mais souvent contraintes par des habitudes instituées, non sans rapport avec la  pédagogie (et le plus souvent l’absence de pédagogie) qui est la sienne. L’Université est marquée par des traditions positivistes et idéalistes. Les pratiques des mouvements d’Éducation Populaire et d’Éducation Nouvelle, comme toutes les pratiques sociales, produisent de la connaissance. Leur expérience est inédite en ce qui concerne les processus d’apprentissage et de création qui se produisent dans un collectif qui émancipe. Elle doit être théorisée et portée en complément et en contradiction avec les savoirs théoriques issus de méthodes d’observation non participante.

Une science populaire doit être pragmatiste dans ses méthodes et ses objets : elle fonde le savoir sur l’expérience et ses surprises plutôt que sur l’expérimentation. Elle est faillibiliste, c’est-à-dire qu’elle sait que tout savoir est provisoire et questionné par l’expérience, et prédictive, c’est-à-dire que sa visée est de prévoir l’action et d’en anticiper les résultats. Un concept est différent d’un autre dans la mesure où ses effets sur la réalité sont différents.

Notre objet : le langage, la parole de tous, l’intelligence collective et altermondialiste

Nous pensons que sur l’articulation langage/pensée nous avons de quoi faire considérablement avancer la pensée issue de Wallon, de Vygotski, de Dewey… et de quoi bousculer les didactiques que la lecture de ces auteurs a inspirées.

Travailler à partir de la pluralité des langues remet le langage sur ses pieds. Une des erreurs fondamentales des sciences humaines et des épistémologies d’aujourd’hui est qu’elles confondent le langage avec la langue, ce qui revient à prendre les idées pour des choses, première étape de leur marchandisation.

Les Labos de Babel sont internationalistes et internationaux. L’expérience des autres pays nous concerne. Nous sommes soucieux de refaire une unité du monde qui ne soit pas fondée sur des rapports de domination. Or, les rapports de domination économique et politique sont verrouillés par des rapports de domination symboliques, à commencer par la domination des langues.

 

  • Nous travaillons les situations de débat multilingues, la place à donner aux traducteurs et interprètes dans des processus d’échange et de traduction qui, pour ne pas être confisqués et bâclés au nom d’une expertise individuelle, mais jouer leur rôle dynamique, doivent rester collectifs.
  • Nous sommes partie prenante du mouvement des forums altermondialistes.
  • Nous nous donnerons les moyens de mettre en lien, dans des pratiques, des lieux d’expérimentation de pratiques sociales polyglottes instituantes dans nos différents Mouvements sur les différents continents.
  • Vers un Forum des pratiques sociales de parole, de parlure, et de parlement ?
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