L’assertion collective : naissance du concept


L’assertion collective (Notes rapides écrites pendant la 1ere étape de la conceptualisation).

Joëlle Réthoré

Un asserteur, ou sujet assertant, s’inscrit les pieds dans la glaise dans son propos. Ce qui signifie que le niveau d’indiciarité (et donc de secondéité) de son propos, hic et nunc, doit pouvoir être pleinement assumé, en conscience, par lui, fût-ce a posteriori : cf le film d’Amical Greensberg, Les Témoins de Lendsor, dans lequel l’historien israëlien Yoel, indisposé par une question d’une journaliste autrichienne enquêtant sur des lieux de mémoire de la Shoah en Autriche, se met brusquement à lui répondre en allemand, alors qu’il s’exprimait délibérément jusqu’ici en hébreu. Cette situation d’énonciation est pleinement vécue par ce sujet comme un événement très significatif pour lui, même s’il n’en maîtrise pas nécessairement l’émergence dans ce moment de colère, où il asserte pleinement. Il n’y a alors plus ou peu de frein critique, et, dans le cas présent cela affecte son choix de langue. Quand l’émotion prend brutalement le dessus, c’est la langue allemande qui devient le médium le plus direct pour s’exprimer sur le contenu de leur discussion.

Pour asserter, il faut parler vrai, parfois malgré soi, au sens où une vérité est dite, fût-elle accidentelle ( il ne peut y avoir assertion sans honnêteté intellectuelle), parfois trahie dans la spontanéité du moment (cf supra). Car l’assertion se fonde dans l’éthique du sujet, qui ne maîtrise pas nécessairement, on vient de le voir, ses prises de position. Par ailleurs, on n’asserte pas pour soi ou pour l’autre. S’il y a de l’intentionalité chez l’énonciateur, c’est que l’autre veuille bien reconnaitre sa bonne foi, quelle que soit sa position quant au contenu en débat. Le mensonge et la manipulation sont proscrits de part et d’autre. Dans le cas contraire, le statut d’asserteur ne s’applique pas. Il n’y a pas co-habitation possible entre l’assertion et les fake-news, par exemple. Pourtant, il existe aujourd’hui une tolérance au mensonge qui amène à l’élection d’hommes politiques qui s’en glorifient, qui assument de mentir (cf Trump, entre autres…). Alors peut-on réconcilier assertion et contenu mensonger d’un dit ? D’une certaine façon, oui. Car ces menteurs parlent vrai, étonnamment. Ils nous disent que le contenu déclaré n’a aucun intérêt, seule compte l’intention politique, le résultat visé, qui est à chercher ailleurs. C’est ce que Daniel Schneidermann appelle “mentir à ciel ouvert” ; (Arrêt sur images, 6/06/2019, “De Renault, de Trump, du désarroi et du mensonge”). D’après Christian Salomon, L’Ere du clash, Fayard, cité par Schneidermann, ce phénomène pourrait venir de la financiarisation de l’économie : les marchés financiers sont alimentés autant par la rumeur que par les faits. Un menteur peut fort bien asserter, non pas le contenu de ce qu’il dit, bien sûr, mais son intention profonde de manipulation, oui. Un Trump peut être décrit comme assertant, s’il assume les conséquences personnelles, logiques et sociales de ses contre-vérités. En réalité, dans son cas, la situation actuelle offre un démenti patent à cette hypothèse : Trump continue de mentir pour se protéger, lui-même et sa famille (cf l‘enquête de Mueller sur ses liens avec les Russes).

L’assertion collective requiert la conscience permanente, et le respect, de l’autre. Mais elle n’a de sens que si elle s’accompagne également du respect de soi (respect n’est pas crainte, et encore moins contrainte : il n’y a pas de maître, de chef de meute, dans le phénomène d’assertion. Il n’y a que des égaux). L’assertion fait donc bon ménage avec l’amour, l’agapisme. Elle est créative d’un sentiment de continuité, de reliance, non seulement avec l’autre, mais peut-être même avec le monde du vivant. L’assertion ne saurait en aucun cas exiger un accord sur le contenu du dit.